La liste des évadés fiscaux de HSBC ne concernait pas uniquement des vedettes du petit écran !
Publié le 13 Mai 2015
On a beaucoup parlé de cette fameuse affaire de ces Français connus, moins connus, riches et moins riches qui avaient des comptes en Suisse afin de frauder le fisc. Entre des patrons et des humoristes, évidemment que l'exil fiscal est choquant...
Par contre, il peut être bien pire que cela : il peut être à l'origine de crimes, d'assassinats et d'attentats, ce qui est beaucoup plus grave que de planquer quelques milliers d'Euros pour subventionner un Etat dont les dirigeants n'ont jamais su gérer un budget en 30 ans...
C'est dans ce cadre que cet article est remarquable car il fait une différence entre le fraudeur et le meurtrier...
Un article du journal 'Le Monde' daté du 11 Février 2015
*********************
HSBC abritait (aussi) des financiers d'Al-Qaida
Oussama Ben Laden l'appelait la " Golden Chain ", une liste des principaux financiers de l'organisation terroriste. Noms que l'on retrouve comme clients de HSBC
Quand des unités spéciales bosniaques ont pris d'assaut les bureaux d'une mystérieuse fondation à Sarajevo, en 2002, outre des armes et des explosifs, elles y ont découvert un disque dur au contenu fort instructif. Il comprenait notamment un dossier intitulé, en arabe, " Histoire d'Oussama ". Celui-ci contenait plusieurs textes, en partie scannés, dont certains portaient des passages écrits de la main d'Oussama Ben Laden. Il incluait également une liste de vingt noms qui a abasourdi les enquêteurs et les services secrets. Comme l'a par la suite confirmé un ancien membre d'Al-Qaida, ces noms étaient ceux des principaux financiers de l'organisation terroriste. Oussama Ben Laden aurait surnommé ce cercle la " Golden Chain " (la " chaîne en or ").
Il se trouve qu'une partie des personnes mentionnées dans cette liste, de nationalité saoudienne, étaient aussi des clients de HSBC à Genève, comme l'attestent les documents obtenus par Le Monde et partagés avec l'ICIJ et ses partenaires. De fait, selon un rapport du Sénat américain de 2012, HSBC a longtemps été " une des banques internationales les plus actives en Arabie saoudite ". Aux Etats-Unis, l'établissement doit sans cesse se justifier. On lui reproche de ne pas assez contrôler ses clients et de se montrer trop laxiste face au blanchiment d'argent et aux personnes soupçonnées d'activités terroristes. Et HSBC a promis de s'amender. Mais les actes ont-ils suivi ? Le risque d'avoir affaire à des éminences grises du terrorisme n'a pas disparu.
Des fondations islamiques
C'est une illustre équipe qui figure dans les données clients de la banque suisse : un prince saoudien, qui a par le passé protégé le chef d'Al-Qaida. Un autre prince, dont l'épouse a envoyé de l'argent à un des auteurs des attentats du 11-Septembre. L'ancien trésorier d'une présumée organisation-écran d'Al-Qaida. Ainsi qu'un homme dont l'usine a été bombardée par l'armée américaine parce qu'il était soupçonné d'y fabriquer des armes chimiques.
Quand cette liste de 20 noms a été retrouvée en Bosnie, cela ne faisait que six mois qu'avaient eu lieu les attentats de New York et de Washington. Le gouvernement américain, à côté de son intervention militaire en Afghanistan, était parti à la chasse aux hommes de l'ombre du terrorisme et à ses financiers. Et il avait découvert des réseaux obscurs formés de riches Saoudiens, de sociétés fictives et de fondations islamiques.
Ce qui nous ramène à la liste des vingt noms de la " Golden Chain ". " Ces personnes ont financé Al-Qaida et, ainsi, donné une assise à cette organisation terroriste ", commente l'ancien agent de la CIA Michael Scheuer. Le rapport de la Commission du 11-Septembre, aux Etats-Unis, se réfère également à cette liste. Il évoque un " réseau de soutiens financiers " de Ben Laden, composé de donateurs d'Arabie saoudite et du Golfe.
Les informations publiées par la presse en 2003 auraient dû mettre la puce à l'oreille du service conformité de HSBC, censé alerter une banque lorsque certains de ses clients sont douteux. Quelles qu'aient été les discussions internes de la banque à ce moment-là, elle n'a pas interrompu ses relations avec ses clients saoudiens soupçonnés de financer le terrorisme. Aussi, des années plus tard, les noms de plusieurs hommes censés appartenir à la " Golden Chain " de Ben Laden apparaissent encore dans des documents clients de la banque, notamment ceux des entrepreneurs Abdelhadi T. et Mohammad Abdullah Abdulaziz Al-J.
Selon ces documents, Abdelhadi T. a ouvert au moins un compte en 2004. Entre 2006 et 2007, les sociétés associées à son profil client ont affiché des mouvements de fonds à hauteur de 44 millions de dollars. Les mouvements associés au nom de Mohammad Abdullah Abdulaziz Al-J., mort en 2004, s'élèvent même à 150 millions de dollars.
Dans les documents de la banque figure aussi le nom d'un ancien membre du directoire de l'International Islamic Relief Organization, une organisation humanitaire présumée proche d'Al-Qaida. Cet homme serait également un des fondateurs de Sana Bell, une fondation américaine soupçonnée de financer le terrorisme. Mais cela n'a pas empêché HSBC de faire affaire avec lui. Son profil client a été créé en 2002, l'année même où a été retrouvée la liste de la " Golden Chain ". La Süddeutsche Zeitung, qui a tenté de joindre cet homme jusqu'au dimanche 8 février, n'est pas parvenue à le faire.
Selon le rapport de la commission du Sénat américain, peu de temps après la découverte du disque dur en Bosnie, les responsables de HSBC savaient que certains de leurs clients figuraient sur cette liste. Que devait faire la banque ?
A la suite des attentats du 11-Septembre, le " groupe de Wolfsberg ", qui réunit plusieurs grandes banques internationales, dont HSBC, s'est engagé à prendre des mesures contre les financiers du terrorisme. Un des principes adoptés était le suivant : Know your customer (" Connais ton client "). Mais à quel point HSBC connaissait-elle ses clients ?
Les banques sont tenues de prendre des mesures quand un client figure sur une liste noire officielle, comme celle dressée par l'ONU. Or les riches Saoudiens de la " Golden Chain " n'y sont pas mentionnés. Leurs avocats arguent qu'on ne sait pas qui a établi la liste de la " Golden Chain ", ni quand et à quelle fin. Ils allèguent en outre qu'il n'est pas prouvé que la liste fasse référence à leurs clients. De nombreuses décisions de justice confirment ce point de vue. Et, les banques du " groupe de Wolfsberg " ont, pour leur part, déclaré qu'elles tenaient à ne discriminer personne en menant leur lutte contre le terrorisme.
Prenons l'exemple de ce riche homme d'affaires saoudien qui, comme le confirment les avocats de sa famille, a un temps possédé un compte chez HSBC. Pendant des années, il avait été le directeur et un des propriétaires d'une grande banque qui a par la suite fait les gros titres de la presse pour des affaires de blanchiment d'argent provenant de terroristes et de trafiquants d'armes. La banque le savait-elle ? Une chose est sûre, elle ne pouvait pas savoir qu'il avait soutenu financièrement la lutte de Ben Laden et de ses hommes contre les Soviétiques, car il ne l'a reconnu que plus tard.
Que pouvait donc savoir HSBC ? Qu'un tribunal américain n'avait abandonné sa plainte pour fraude contre cet homme d'affaires que lorsque celui-ci a accepté de verser 225 millions de dollars. La presse parlait déjà de cette affaire en 1993. Malgré tout, comme le montrent les documents Falciani, son nom figure encore en l'an 2000 dans les fichiers de HSBC. Il apparaît d'ailleurs en lien avec le nom de l'ancien propriétaire de l'usine qui aurait fabriqué des armes chimiques pour Al-Qaida. Il n'a jamais été possible de prouver la véracité de ces accusations et, jusqu'à aujourd'hui, le propriétaire de l'usine nie que son entreprise ait eu quoi que ce soit à faire avec Al-Qaida, et soutient mordicus ne jamais avoir détenu de compte HSBC en Suisse.
Toujours est-il que, parmi ses clients en Suisse, HSBC comptait – et compte peut-être encore – un nombre impressionnant d'hommes d'affaires arabes que les autorités estiment proches d'Al-Qaida. Ainsi, d'après les documents de Falciani, un autre Saoudien, entrepreneur du bâtiment, a lui aussi possédé un compte HSBC à partir de 1997. Il était connu comme trésorier de la Benevolence International Foundation, une fondation que le gouvernement américain a inscrite en 2002 sur sa liste noire pour financement d'activités terroristes. Cette organisation aurait transféré des capitaux à Ben Laden et aux combattants islamistes en Tchétchénie et en Bosnie.
Jusqu'au dimanche 8 février, l'entrepreneur n'a pas répondu aux questions de la Süddeutsche Zeitung, et HSBC n'a réagi à la liste de questions détaillées qui lui a été transmise que par une déclaration d'ordre général : " La culture de la conformité et les normes de diligence raisonnable au sein de la banque privée suisse HSBC, de même qu'au sein du secteur bancaire en général, étaient significativement moindres qu'aujourd'hui. "
La commission du Sénat américain s'est exprimée avec plus de clarté en 2012. Dans son rapport, elle arrive à la conclusion que, du fait de ses règles laxistes et de ses mesures de sécurité insatisfaisantes, HSBC a permis à des terroristes et à des trafiquants de drogue de blanchir de l'argent facilement.
Le rôle de l'Al-Rajhi Bank
Un chapitre entier de ce rapport de 334 pages est consacré à l'établissement bancaire saoudien Al-Rajhi Bank. Le nom d'Al-Rajhi figure sur la liste de la " Golden Chain ". Et, selon les documents de Falciani, au moins six membres de cette famille font partie des clients d'HSBC. Dans un rapport confidentiel auquel se réfère le Wall Street Journal et le rapport du Sénat, la CIA averti que plusieurs membres de la famille Al-Rajhi, vraisemblablement informés qu'Al-Qaida utilisait leur banque, auraient soutenu des extrémistes islamistes. L'Al-Rajhi Bank a répondu à nos questions en déclarant qu'elle condamnait le terrorisme. D'après elle, les accusations du rapport américain sont injustes et infondées. Elle argue également que l'on ne sait pas à quel membre de la famille Al-Rajhi la liste de la " Golden Chain " fait référence ; ses avocats évoquent des décisions de justice selon lesquelles cette liste n'a pas valeur de preuve.
Aux Etats-Unis, HSBC a décidé de rompre ses relations commerciales avec l'Al-Rajhi Bank en 2005. A peine deux ans plus tard, après d'intenses discussions internes, elle a repris ces relations pour les poursuivre jusqu'en 2010. Or le rapport du Sénat américain classe l'Al-Rajhi Bank comme un client particulièrement dangereux.
Stuart Levey, qui a été, pendant plusieurs années, responsable de la lutte contre le financement du terrorisme au sein du ministère américain des finances, a déclaré en 2007 : " Si, d'un claquement de doigts, je pouvais stopper le financement du terrorisme en provenance d'un seul pays, je choisirais l'Arabie saoudite. " Un an plus tard, l'expert affirmait devant une commission du Sénat américain qu'aucun pays ne donnait davantage d'argent aux terroristes sunnites que l'Arabie saoudite.
Aujourd'hui, Stuart Levey a un nouvel employeur : HSBC. Il est chef de son service juridique. A ce poste aussi, il a dû s'exprimer devant une commission du Sénat américain. En 2012, il a même dû défendre HSBC, à qui l'on reprochait de contrôler insuffisamment ses clients. Après avoir reconnu les insuffisances de la banque, il a déclaré : " Nous avons appris de notre expérience et nous prenons des mesures pour nous amender. " Poursuivant : " Nous n'essayons plus d'être présents partout et de proposer toutes nos prestations à tous nos clients. "
En janvier 2015, un expert indépendant a remis un nouveau rapport au ministère américain de la justice. Ce document, qui dresse un bilan des mesures prises par HSBC, doit établir si ses déclarations ont été suivies d'actes. Ses conclusions doivent être publiées en avril. Il semble que l'on reprocherait encore à HSBC de ne pas en savoir assez sur ses clients.
Georg Mascolo, Frederik Obermaier, Tanjev Schultz, (" Süddeutsche Zeitung ", " Norddeutscher Rundfunk " et " Westdeutscher, Rundfunk ")
Marchands d'armes et clients de HSBC
Parmi les clients de HSBC à Genève, la société Katex Mines Guinée, dont le siège est à Conakry, retient l'attention. Son compte, ouvert le 20 décembre 2000, affiche un maximum de 7,14 millions de dollars entre 2006 et 2007. Or la véritable activité de Katex était l'importation d'armes en provenance d'Ukraine et d'Iran, notamment pour les rebelles des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie avant leur offensive de juillet 2003 sur Monrovia. Ce carnage a fait plusieurs centaines de morts. Le patron de Katex, le Syrien Ahmad Fouzi Hadj, a résidé en Italie avant de se réfugier en Ukraine, sous le coup de plusieurs condamnations. Les rapports de l'ONU, dès 2003, les articles de presse et les campagnes des ONG ont laissé HSBC impassible. Les documents obtenus par Le Monde montrent que la relation entre HSBC et M. Hadj s'est poursuivie jusqu'en septembre 2006. Entre 2006 et 2007, le solde des comptes HSBC de personnes liées au trafic d'armes ou à des ventes d'armes douteuses dans au moins sept pays d'Afrique ont représenté plus de 56 millions de dollars.