Quand on continue à jouer au jeu où personne ne gagne...
Publié le 5 Juin 2015
Prédire l'avenir est impossible. En effet, il y a tant de paramètres qui entrent en jeu qu'il devient très vite illusoire de vouloir gagner. Alors quand ce sont les économistes qui se collent à l'exercice, les conclusions basculent vite à la rigolade !
Aucun économiste, si brillant soit-il, n'a pu empêcher la crise de 2008. Comment croire, dès lors, qu'ils vont avoir la plus petite influence qui soit pour une situation qui se produira dans cent ans ?
Les économistes sont très forts pour expliquer les crises après coup, beaucoup moins pour les anticiper.
Néanmoins, pour moi, c'est Martin Weitzman qui a le plus raison dans la situation actuelle : écologiquement, nous vivons une crise majeure en détruisant notre Planète. Enfin, pas notre planète mais plutôt les conditions de vie de l'Homme sur la Planète. Car, soyons-en sûrs, la Terre continuera à vivre... Avec l'Homme dessus ? Rien n'est moins sûr...
Un article du journal 'Le Monde' daté du 20 Février 2015
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Dites-moi, ce sera comment le XXIIe siècle ?
Pourquoi devrais-je me préoccuper des générations futures ? Qu'est-ce qu'elles ont fait pour moi ? ", se demandait Groucho Marx, cigare vissé aux lèvres. C'est pourtant l'exercice très sérieux qu'un professeur émérite de la London School of Economics a proposé à une dizaine d'économistes prestigieux, dont trois Prix Nobel : " Dans quel monde vivrons-nous dans cent ans, au XXIIe siècle ? ", a demandé Ignacio Palacios-Huerta, spécialiste de la théorie des jeux et amateur de football – au point de collectionner toutes les statistiques sur les manières de tirer les penalties.
Tous ont joué le jeu, même si on sent bien, à la lecture de l'ouvrage qui réunit leurs contributions, que la main de plusieurs d'entre eux a tremblé au moment de coucher leurs prévisions sur le papier. Il faut dire qu'aucun n'a oublié le précédent – plutôt fâcheux – du grand économiste britannique John Maynard Keynes, qui en 1930, s'était lui-même livré à cet audacieux exercice futuriste.
Si dans son ouvrage Perspectives économiques pour nos petits-enfants, le génial théoricien avait bien anticipé l'augmentation rapide du niveau de vie " entre quatre et huit fois " – il avait été plus malheureux en proclamant que le travail ne nous occuperait plus que trois heures par jour, que les grands problèmes économiques seraient résolus et que l'humanité baignerait dans la civilisation des loisirs.
Pour se protéger de l'optimisme débridé de Keynes, ses héritiers ne perçoivent pas la vie en rose. Seul Alvin Roth, Prix Nobel 2012, affirme que " la science économique au XXIIe siècle sera à l'avant-garde des sciences sociales ", parce qu'elle aura su intégrer la sociologie, la science politique, la psychologie et la biologie. " L'amélioration du bien-être va se poursuivre ", affirme ce professeur à la Harvard Business School, grâce, notamment, à la révolution de la santé : " Des médicaments vont doper toutes nos performances tout comme le développement de la génétique. " " L'intelligence artificielle aura atteint un tel niveau que la technologie sera elle-même en partie autonome, elle agira sans intervention humaine directe, explicitera des objectifs à moyen terme et formulera des plans pour les réaliser. "
C'est un autre Prix Nobel, Robert Shiller (2013), qui lui répond, un chapitre plus loin, en dessinant les contours du siècle prochain : une planète menacée, des armes de destruction massive plus nombreuses, des technologies de l'information qui rendront précaires tous les métiers. Les enfants de nos enfants auront d'abord à apprendre à gérer des risques aggravés et multiples. Une nouvelle science sera consacrée à cette gestion des risques, alimentée par le développement fulgurant des nouvelles technologies. Robert Shiller prévoit aussi l'émergence d'" une nouvelle élite " composée de " tous ceux qui se connecteront fréquemment à l'intelligence artificielle " : " Des milliards d'individus en seront exclus et vivront au sein de ghettos à l'échelle mondiale. "
Bloquer la société
Dans le même esprit, Edward Glaeser, professeur à l'université Harvard, annonce autant qu'il redoute l'émergence d'" une économie de la peur " et de " l'autoprotection ". Les plus riches voudront conserver leur avantage et défendre un statu quo. Ils tenteront de bloquer la société en abusant de toutes les protections : dépenses militaires démesurées, barrières réglementaires, limitation de la liberté économique. " Une société qui s'autoprotège est plus intéressée à conserver qu'à innover ", conclut Glaeser.
Mais c'est Martin Weitzman, économiste spécialisé depuis des années sur la question du climat, qui signe la prévision la plus sombre. " C'est désormais une quasi-certitude, l'homme va provoquer un bouleversement du climat de la planète. " Un changement " anthropocène ", sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Weitzman ne croit ni au miracle ni à la possibilité d'un accord international à la hauteur des enjeux.
L'homme, affirme-t-il, n'a ni la lucidité ni " la patience de faire face à des événements, même catastrophiques, qui pourraient survenir dans un futur éloigné. Il est possible que d'autres civilisations apprennent à avoir l'expérience du futur, ce n'est pas le cas de la nôtre ", tranche l'économiste.
Quand la menace imminente se fera sentir, il sera donc trop tard. Se poserait alors, dans une situation inconnue, la question de la " cohabitation de l'homme et de la nature ". Weitzman s'appuie pourtant sur les travaux d'un autre Nobel, de chimie cette fois, Paul Crutzen (2006), pour esquisser un autre scénario : la mise en place d'un " bouclier solaire artificiel ", " seul moyen d'éviter rapidement les catastrophes provoquées par la hausse des températures ". Une solution d'urgence, à faible coût, sans doute à portée de main sur le plan technique, mais une solution d'attente avant que les hommes ne se soient engagés dans une nouvelle révolution de l'économie.
La réalité du XXIIe siècle est soumise au grand défi du XXIe : être capable de gérer à court terme les impératifs du long terme. A lire nos économistes, il n'y a pas que les djihadistes qui menaceront nos démocraties.
par vincent giret