Le système hypocrite du NHS ne doit pas être adopté en France
Publié le 26 Août 2015
Ce n'est pas parce qu'un système est gratuit qu'il n'a pas un coût.
Ainsi, sous couvert d'un service gratuit, en Angleterre, on aboutit à un système hypocrite et inefficace car source importante d'abus. En matière de santé comme en bon nombre de domaines économiques, la gratuité est une fausse bonne idée car elle a tendance à déresponsabiliser les bénéficiaires. On le voit dans cet article : des bénéficiaires se comportent en tant que clients, alors que la notion de clientèle d'un service public n'existe pas. On ne peut pas tolérer que des gens se servent d'ambulances comme de taxis ou râlent quand ils ne s'estiment pas servis en temps et en heure.
D'ailleurs, l'Angleterre à une espérance de vie inférieure à celle de la France, signe que le tout-gratuit, car source de gabegie, ne résout pas tout.
Un article du journal 'Le Monde' daté du 06 Mai 2015
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Au chevet du NHS
Les élections britanniques 2-|4 Fondé en 1948, le National Health Service fait la fierté des Britanniques. Système de santé universel et gratuit, son modèle est aujourd'hui en crise, et les candidats aux législatives du 7 mai rivalisent de remèdes
Gary Green, veste de camouflage et petit cœur tatoué sur l'oreille, a la carrure d'un boxeur, mais l'émotion l'étreint lorsqu'on lui demande son sentiment sur le National Health Service (NHS). " Pour moi, c'est la chose la plus merveilleuse du monde. " Ce quinquagénaire sort prendre l'air : son épouse vient d'être admise en soins intensifs à l'University College Hospital (UCH), un centre hospitalier réputé, situé non loin de la gare St Pancras, à Londres. " Une infirmière veille sur elle. Tout le personnel est fantastique, se réjouit-il. Nous, les Anglais, nous pouvons être fiers du NHS. "
" Fierté " : le mot revient systématiquement dans la bouche des usagers interrogés à leur sortie de UCH. Près de soixante-dix ans après sa fondation, en 1948, le NHS, système britannique de santé universel et gratuit, demeure l'institution la plus populaire du Royaume-Uni avec la monarchie. " Le NHS est la religion de ce pays. Personne ne peut y toucher ", résume le docteur Joud Abduljawad, 37 ans, chef du service des urgences de UCH. Un diplomate britannique choisit une autre métaphore : " C'est une institution soviétique au centre d'un pays ultralibéral. "
Un enjeu ultrapolitique
Avec ses 1,6 million de salariés dont 170 000 médecins, rétribués directement par l'impôt, et son budget de 130 milliards de livres sterling (176 milliards d'euros), ce mammouth bureaucratique, aux performances à la fois admirées et contestées, est une composante essentielle de l'identité nationale. Par sa taille, il est le cinquième employeur du monde, derrière le ministère américain de la défense, McDonald's, Walmart et l'armée populaire chinoise. Symbole des espoirs de justice sociale nés sous les bombardements nazis, il a survécu à tous les bouleversements politiques. Même Margaret Thatcher n'a pas osé y toucher. Et chaque Britannique se souvient avec émotion du ballet des infirmières du NHS dans la fresque retraçant l'histoire nationale composée pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de 2012.
Géré par l'Etat, le NHS est logiquement une affaire d'Etat et un enjeu ultrapolitique. Pas un jour ne se passe dans la campagne pour les élections législatives du 7 mai sans que le système de santé ne fasse l'objet de promesses et de controverses. Les responsables politiques se sont d'ailleurs donné le mot pour évoquer ce monument national cher au cœur des électeurs : ils ne se contentent pas de parler " du NHS ", ils invoquent sans cesse " notre NHS ". " Mon mari n'a rien payé pour son opération, témoigne fièrement Barbara, qui sort de l'hôpital avec Alan, son époux, septuagénaire. Nous avons le meilleur système du monde. Vous avez ça, en France ? Vraiment ? Alors vous nous avez copiés. "
Pourtant, ce système révéré fait l'objet d'incessantes attaques et nourrit les pages à scandales des tabloïds. " Les erreurs du NHS tuent 12 500 personnes par an ", peut titrer le Daily Mail,tandis que The Sun décrit régulièrement un système " au bord du gouffre ". Placé en majesté, le NHS est aussi traité comme un grand malade, car son modèle est en crise.
Dans l'entrée aux murs pastel du service des urgences de UCH, un tableau rempli de chiffres symbolise l'obsession des statistiques qui caractérise le système. " 387 patients " ont été accueillis hier, " 98,5 % ont été traités dans les quatre heures ", il s'est écoulé " 18 jours " depuis qu'un patient a fait une chute et " 384 jours " depuis qu'un autre a souffert d'escarres.
Durant l'hiver, les chiffres reflétant le temps d'attente aux urgences ont alimenté les premières escarmouches de la campagne électorale. " Trois millions de patients sont sur liste d'attente pour voir un spécialiste et les délais pour consulter un GP - general practitioner, généraliste - traduisent une crise nationale ", ont dénoncé une centaine de médecins dans une lettre ouverte à David Cameron. En retour, le premier ministre conservateur a accusé les travaillistes de transformer honteusement la santé publique en " arme électorale ". Certes, le système de santé a échappé aux coupes drastiques dans les dépenses publiques pratiquées par le gouvernement Cameron, mais l'objectif national visant à traiter 95 % des patients en quatre heures aux urgences est loin d'avoir été atteint et la dépense par habitant a diminué. Plus de 20 000 patients diagnostiqués pour un cancer attendent plus de deux mois – la norme – pour commencer un traitement. L'espérance moyenne de vie des Britanniques (81,5 ans) est inférieure d'un an à celle des Français.
Ed Miliband, qui veut succéder à David Cameron à Downing Street, promet de " sauver le NHS ". Les travaillistes dénoncent la " privatisation " rampante du système par le gouvernement conservateur, en mettant notamment en concurrence des fournisseurs de soin, tendance qu'ils ont eux-mêmes lancée lorsqu'ils étaient au pouvoir. Mais, pour le Labour, l'enjeu est particulièrement important, car le système de santé est l'un des sujets sur lesquels les électeurs lui accordent davantage de confiance qu'aux conservateurs.
30 milliards de livres de déficit en 2020
Sur un point crucial, cependant, chacun s'accorde : la viabilité financière du NHS n'est pas assurée à moyen terme. Son déficit, creusé par le vieillissement de la population et l'inflation des coûts, est évalué à 30 milliards de livres (40,6 milliards d'euros) à l'horizon 2020. Pour combler ce trou, les conservateurs promettent d'injecter 8 milliards sans préciser comment ils les dégageront. Le Labour, lui, promet 2,5 milliards supplémentaires chaque année, et affirme qu'il les financera par une taxe sur les grosses propriétés immobilières valant plus de 2 millions de livres (2,8 millions d'euros) et par un impôt sur le tabac.
Selon un rapport de Simon Stevens, le patron de NHS-England, publié en octobre 2014, le NHS doit dégager 22 milliards de livres d'ici à 2020 pour survivre, grâce à des gains de productivité. Un objectif jugé " de plus en plus inatteignable " par le King's Fund, un cercle de réflexion spécialisé. Aussi la perspective d'un rationnement des soins est-elle envisagée sérieusement par les groupements de médecins de ville qui, depuis une réforme de 2012, gèrent localement le système. Les fumeurs et les personnes obèses pourraient être les premières catégories à se voir refuser l'accès à certains traitements ou opérations. Déjà, les conservateurs envisagent de supprimer l'indemnisation des arrêts maladies aux personnes touchées par des addictions ou par l'obésité. Quant à l'idée de faire acquitter un forfait pour chaque consultation, elle est jugée " inévitable " par Mark Porter, le président de la British Medical Association. Mais, en pleine campagne électorale, aucun responsable politique ne peut se risquer à envisager pareille brèche dans le dogme de la gratuité.
Car ce n'est pas le moindre paradoxe du NHS : si le système repose sur ce principe de gratuité (les médicaments sous ordonnance sont facturés 8,25 livres quel que soit leur coût véritable et sont gratuits pour les jeunes, les personnes âgées et les chômeurs), on ne cesse d'y parler argent. " Lorsque je prescris un traitement, son prix s'affiche sur mon écran, raconte la docteure Mathilde Mbouck-Samnick, un médecin français qui travaille depuis douze ans pour le NHS à Londres. Notre liberté de prescription est contrôlée. Toutes les ordonnances sont examinées et la commission locale du NHS peut vous faire des remarques. Chaque circonscription dispose d'un budget qu'il convient de ne pas dépasser. " Selon plusieurs témoignages de patients, l'accès à certains traitements coûteux est contingenté ou retardé en application d'algorithmes implacables et des contingences budgétaires locales. Un traitement disponible dans un quartier de Londres peut ne pas l'être dans un autre. Quant aux médecins, soumis à de lourdes contraintes administratives, ils font l'objet d'une notation par les patients publiée sur le site NHS Choices, comme n'importe quelle marchandise ou service sur le Web.
Des urgences saturées
L'extrême politisation du fonctionnement du NHS est aussi source de difficultés, selon la praticienne : " Les responsables politiques répètent que chacun a le droit de voir un médecin quand bon lui semble. Ils font de la surenchère en promettant des cabinets de généralistes toujours plus disponibles et des délais d'attente toujours plus courts. Le résultat est que les rendez-vous sont pris toutes les 10 minutes, ce qui est impossible à tenir. " Si la demande de médicaments apparaît moins forte qu'en France du fait de vigoureuses campagnes d'information, la gratuité des consultations n'est pas sans entraîner des abus. " Beaucoup de gens viennent consulter pour de simples bobos en nous rappelant que nous sommes payés avec leurs impôts. Cela nous laisse encore moins de temps pour les cas sérieux. "
Selon la docteure Annie MacGuinness, médecin urgentiste au UCH, des abus concernent aussi les ambulances, qui, selon la norme, doivent se présenter " dans les huit minutes " d'un appel jugé sérieux. " Beaucoup de gens utilisent les ambulances comme des taxis parce qu'elles ne leur coûtent rien ", témoigne-t-elle.
Pourtant, la ferveur du public envers le NHS et la focalisation des médias présentent aussi des vertus, souligne le Dr Joud Abduljawad, car elles maintiennent la pression sur les politiques. " Je fais confiance à l'opinion britannique pour que notre financement soit garanti, explique-t-il. Certes, il existe des délais – trois mois pour une prothèse de la hanche – qui produisent des frustrations. Mais chacun dans ce pays a accès au meilleur traitement possible et les patients sont les seules personnes auxquelles nous avons à rendre des comptes. "
Convaincu que " le principe de gratuité n'est pas menacé ", le jeune patron du service des urgences se dit pourtant témoin d'un " changement culturel " : les patients ne supportent plus d'attendre et certains accourent aux urgences faute d'obtenir rapidement un rendez-vous avec un généraliste. Le service qu'il dirige traite 130 000 patients chaque année. Sur le plan national, 21 millions de personnes, soit l'équivalent d'un Britannique sur trois, se présentent dans un service d'urgences médicales. Victime de son succès, le NHS tire aussi sa résilience de l'extraordinaire engouement qu'il suscite dans l'opinion et, partant, de l'extrême sollicitude dont il fait l'objet de la part des responsables politiques.
Les deux principaux partis politiques en lice pour les législatives ne se battent-ils pas à son chevet ? Tandis que le Labour jure que, s'il gagne, " chaque patient pourra voir un généraliste dans les 48 heures ", les tories promettent des cabinets médicaux " ouverts 7 jours sur 7 ". Dans quel autre pays du monde la santé fait-elle l'objet d'une pareille rivalité ? Au Royaume-Uni, à l'approche des élections, rien n'est trop beau pour le NHS.
Philippe Bernard