Quand la triche s'invite en sciences
Publié le 3 Août 2015
Ces dérives sur les publications scientifiques ne sont pas tolérables car ils engendrent des fraudes. A force de vouloir publier à tout prix pour pouvoir avoir des moyens à tout prix, on en vient à publier tout et n'importe quoi et surtout des études qui révèlent plus la conviction des auteurs que la vérité scientifique.
Il faut donc changer de paradigme et cesser de pousser les chercheurs à publier à tout va afin d'éviter une fuite en avant où les publications sont, pour le mieux erronées, pour le pire, mensongères.
La publication scientifique ne doit pas servir qu'à relater des réussites, mais pourrait servir à informer sur les travaux en cours en posant des questions : les publications scientifiques seraient-elles moins légitimes si elles résumaient des recherches n'ayant mené nulle part ? Publier pour dire que l'on a fait une erreur en s'engageant dans une voie, n'est pas nécessairement un mal : parfois, on apprend plus de ses erreurs que de ses succès !
Si on passe 8 mois à chercher une solution à une problématique et qu'elle mène à une impasse, cette expérience n'a-t-elle pas droit à publication ? Relater une expérience négative peut inciter d'autres équipes à ne pas reproduire les mêmes erreurs et peut les engager à suivre une autre voie : c'est ça la science ! C'est la recherche de la vérité qui doit se faire dans une collaboration perpétuelle pour le bien être général de l'humanité et de tous les chercheurs !
Ainsi, récompenser ceux qui ont réussi par le Nobel est, pour moi, une erreur : ceux qui ont fermé les mauvaises portes n'ont-ils pas droit à la même lumière que ceux qui ont eu la chance d'ouvrir la bonne ? En effet, la bonne porte n'a pu être ouverte que parce que d'autres ont été capables de fermer les autres !
A méditer pour éviter de futures pareilles déconvenues...
Un article du journal 'Le Monde' daté du 10 Avril 2015
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Une star de la biologie accusée de tricherie
Le chercheur français Olivier Voinnet, qui fait l'objet d'une enquête du CNRS, a demandé le retrait d'un de ses articles jugé frauduleux par une biologiste américaine
Vicki Vance ne sait pas très bien si elle a raison de parler aujourd'hui, et si elle a eu tort de se taire il y a douze ans. Mais après des années de silence, cette biologiste de l'université de Caroline du Sud a estimé qu'" il était de - son - devoir de témoigner ".
Alors que depuis plusieurs mois plus d'une trentaine d'articles scientifiques du Français Olivier Voinnet sont décortiqués pour savoir s'ils contiennent ou non des images manipulées, elle est sortie de l'anonymat, le 1er avril. Pour exposer ce qu'elle sait d'un article en particulier, publié dans la revue Plant Cell en 2004. Et ce qu'elle en dit est dévastateur pour le biologiste français, qu'elle accuse d'avoir menti sur ses données.
Ses déclarations ont d'abord été postées sur PubPeer, un site qui s'est spécialisé dans le " contrôle qualité " académique, en permettant de soulever de façon anonyme des questions sur des articles scientifiques – pas moins de 37 de ceux produits par M. Voinnet sur une période de plus de quinze ans sont actuellement dans ses filets. Mais Vicki Vance a rompu cet anonymat. Et elle a réitéré ses accusations lors d'un entretien qu'elle nous a accordé.
Il ne nous a pas été possible de recueillir la version d'Olivier Voinnet, qui nous a renvoyés à sa tutelle actuelle, l'Ecole polytechnique fédérale (ETH) de Zurich, laquelle reste muette en raison des investigations en cours dans de nombreuses revues et au sein des organismes dans lesquels il a travaillé – le CNRS indiquant qu'elles " risquent d'être longues ". Difficile aussi d'obtenir les témoignages de tiers, à la suite de consignes de silence passées par les tutelles, et du fait que les observateurs les plus avisés ont cosigné avec Olivier Voinnet ou font justement partie des commissions d'enquête.
Une première étape est en marche : Plant Cell a indiqué, mardi 7 avril, qu'Olivier Voinnet avaitdemandé fin mars la rétractation de l'article de 2004, et que cette procédure, qui aboutit à déclarer qu'un résultat scientifique est nul et non avenu, était en cours.
Cette annonce fragilise le Français de 43 ans, détaché du CNRS depuis 2010 à l'ETH, où il dirige une équipe de presque trente chercheurs et étudiants. Multiprimé, c'est une star dans son domaine, l'interférence à ARN. Il s'agit d'un mécanisme de défense immunitaire présent chez les végétaux, qu'il a contribué à décrire, et qui peut être mis à profit en biologie et en médecine pour inactiver certains processus moléculaires.
" Mensonge délibéré "
Vicki Vance également est une référence dans la discipline. Au début des années 2000, elle aussi participe à la révolution de l'interférence à ARN. Elle croise Olivier Voinnet, alors étudiant en thèse au sein du laboratoire de David Baulcombe, en Grande-Bretagne, au gré des conférences internationales. Celui-ci, bientôt embauché au CNRS à Strasbourg, y crée sa propre équipe. C'est à ce moment, fin 2003, que débute " une expérience plutôt intense " dans sa vie de chercheuse. Elle découvre, dit-elle, la vraie nature du personnage, au fil d'une série improbable de hasards éditoriaux qui feront d'elle par trois fois le témoin impuissant de ses mensonges présumés.
Un manuscrit d'Olivier Voinnet lui est d'abord transmis par la revue Genes and Development, pour relecture anonyme – selon la procédure de " revue par les pairs " en vigueur dans les journaux scientifiques. " Il y avait plusieurs problèmes dans cet article, dont l'un concernait une donnée de contrôle dans une des figures ", explique la chercheuse. En résumé, l'élément de comparaison avec les lignées végétales présentées n'était pas correct. " Je l'ai indiqué dans mon rapport, l'article a été rejeté. "
Moins d'un mois plus tard, elle reçoit pour relecture le même article légèrement remanié, soumis cette fois à EMBO Journal. " La figure de contrôle y apparaissait toujours, mais avec une légende différente de celle du premier article : c'était donc un mensonge délibéré ! s'étrangle-t-elle. Je l'ai indiqué aux éditeurs du journal, qui ont rejeté l'article, mais aussi dans mon rapport aux auteurs, pour qu'ils sachent qu'ils avaient été pris sur le fait et ne recommencent pas. "
Peine perdue : peu de temps après, c'est la revue Plant Cell qui lui soumet une nouvelle version de l'article, avec la figure originelle. Mais avec de surcroît l'irruption de nombreuses lignées qu'aucun autre laboratoire – dont le sien – n'était encore parvenu à obtenir. " Dans mon rapport à Plant Cell, j'ai indiqué très clairement qu'Olivier Voinnet mentait, en expliquant les circonstances, indique la chercheuse. Mais l'éditeur n'a pas cherché à me contacter. " En mai 2004, l'article paraît, quelque peu remanié seulement. Dans un communiqué du 6 avril, la revue Plant Cell explique que " l'auteur a envoyé une réponse détaillée qui, à l'époque, a satisfait les responsables éditoriaux ".
" Depuis ce jour, j'ai cessé de croire en ce que publie Olivier Voinnet, indique Vicki Vance. Il est impossible de savoir si ce qu'il prétend est vrai ou non. Je suis furieuse, mais pas seulement contre lui. Il n'est pas le seul responsable : le fait que Plant Cell ait accepté cet article, sans aucune conséquence pour lui, l'a encouragé à continuer. " Elle assiste ensuite à la montée en puissance du jeune Français. Mais aujourd'hui, pour elle, la messe est dite : " Il n'y a pas de place dans la science pour quelqu'un qui ment à propos de la science. "
" Publish or perish "
Les résultats d'Olivier Voinnet et ses cosignataires sont-ils entièrement douteux ? La majorité des articles qu'il a cosignés ne sont pas concernés par les enquêtes en cours. Comme le rappelle la direction du CNRS, ses expériences ont été refaites à de nombreuses reprises par d'autres équipes – ces " réplications " étant une des conditions de validation des connaissances scientifiques.
Mais certains résultats, également soumis à la critique sur PubPeer, ne semblent pas remplir ce critère. Anne Simon, de l'université du Maryland, raconte ainsi sa mésaventure : " J'ai dépensé beaucoup de temps et d'argent à tenter de reproduire des résultats publiés dans Science en 2006 par l'équipe de Voinnet ", témoigne cette chercheuse, qui a fini par publier des résultats infirmant ceux du Français, dans la revue Virology en 2008. Elle n'a " aucun moyen de savoir " si les données étaient frauduleuses. Mais constate : " Olivier Voinnet a ignoré notre publication et reste sur ses positions ".
La nouvelle rédactrice en chef de Plant Cell, Sabeeha Merchant, indique qu'Olivier Voinnet devrait motiver sa demande de rétractation, et qu'un article de 1998 est aussi en cours de révision. Elle campe sur les règles internes de la revue et se refuse à rendre public le rapport critique de Vicki Vance de fin 2003, qui prouverait la bonne foi de la chercheuse. Celle-ci, qui souhaitait que Plant Cell s'explique sur ses propres manquements, a finalement mis en ligne son rapport mardi 7 avril, ravageur. " Plant Cell ne présentait pas une image conforme du processus de relecture tel qu'il s'était déroulé ", regrette-t-elle.
Pourquoi Olivier Voinnet a-t-il manipulé ces données ? Le tout jeune chef d'équipe a-t-il succombé à la pression du " publish or perish " (" publier ou mourir "), dans un système scientifique où la carrière se joue au nombre de publications dans les grandes revues, mais pas à la réplication des résultats des concurrents ? Son statut de " golden boy " impuni a-t-il altéré son jugement ? A-t-il pensé que ses intuitions étaient les bonnes, et que les détails de l'expérimentation pour les confirmer n'étaient qu'une perte de temps ?
" En science, nous avons tous des intuitions. Mais l'expérience est précisément là pour les tester, rappelle Vicki Vance. Et quand elle les invalide, cela peut ouvrir sur d'autres questions, encore plus riches. " Voilà peut-être pourquoi, en défense d'un domaine scientifique fascinant, dont on peine à mesurer à quel point il est atteint par ces manquements à l'intégrité scientifique, elle s'est aujourd'hui décidée à parler publiquement.
David Larousserie, et Hervé Morin
profils
Olivier Voinnet
Ce biologiste français de 43 ans est très réputé, avec une centaine d'articles publiés dans de grandes revues scientifiques. Ingénieur agronome, il soutient sa thèse en Grande-Bretagne en 2001, entre dans la foulée au CNRS et crée son équipe de recherche à Strasbourg. En 2010, il est détaché à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Il a reçu de nombreux prix, bourses et distinctions.
Vicki Vance
L'Américaine Vicki Vance, pionnière de la recherche sur l'interférence ARN, a eu une carrière moins fulgurante : bactériologiste au début des années 1970 dans un organisme de contrôle des produits laitiers, puis virologue dans un hôpital municipal de Chicago, elle soutient sa thèse de biologie végétale en 1983 pour effectuer toute sa carrière à l'université de Caroline du Sud, où elle est professeure.