La double poursuite doit continuer à être la norme en matière de délits boursiers

Publié le 1 Septembre 2015

La double poursuite doit continuer à être la norme en matière de délits boursiers

En matière de justice, le principe est de ne pas poursuivre deux fois pour les mêmes faits. En matière de justice cependant, il y a toujours un mécanisme principe-exception.

Ainsi, en matière financière, on doit être dans l'exception.

Le parquet national financier (PNF) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) doivent continuer à travailler de manière conjointe, ce, pour deux raisons :

- Le parquet juge en matière pénale, c'est à dire, un trouble manifeste à l'ordre public. On doit donc répondre à la question si des agissements boursiers ont pu aboutir à un tel trouble et si des peines de prison sont requises. Par exemples, si des particuliers ont été floués, il est normal que cela soit le parquet qui soit chargé de ces enquêtes.

- L'AMF doit elle juger sur des principes basés sur le métier de la bourse. Elle peut donc juger sur des faits techniques qui ne sauraient dispenser d'enquêtes pénales.

On le voit : AMF et PNF doivent continuer à travailler de concert car les buts ne sont pas les mêmes. De plus, seul le PNF peut se targuer de défendre la société.

L'exception doit donc primer ici en disant que l'on peut condamner deux fois pour les mêmes faits car la finalité n'est pas la même.

Deux articles du journal 'Le Monde' daté du 13 Mai 2015

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Après l'affaire EADS, une loi sur les délits boursiers

Un débat s'achève, un autre commence, tout aussi complexe. Sauf surprise, le tribunal correctionnel de Paris devrait clore définitivement l'affaire EADS, lundi 18 mai, lors de l'annonce du délibéré du procès. Les avocats des prévenus – sept dirigeants et ex-dirigeants du groupe aéronautique, ainsi que Daimler et Lagardère, soupçonnés de délit d'initié en 2005 et 2006 –, mais aussi le parquet national financier (PNF), en la personne de la procureure Eliane Houlette, ont en effet réclamé la fin des poursuites, lors d'une audience lundi 11 mai. Motif : tous avaient été mis hors de cause, en 2009, par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Or, le Conseil constitutionnel a jugé, en mars dernier, qu'un délit d'initié ne pouvait être poursuivi à la fois par le gendarme de la Bourse et par la justice pénale. Jusqu'à présent, justice administrative (à travers l'AMF) et pénale cœxistaient en matière boursière.

Surtout, dans son jugement, le Conseil constitutionnel a donné au législateur jusqu'au 1er septembre 2016 pour élaborer une nouvelle loi, afin de réformer le système actuel. C'est aussi une manière de se mettre en conformité avec le droit européen, qui tend à bannir la double poursuite.

Audrey Tonnelier

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EADS : vers une loi sur les délits boursiers
La justice devrait clore l'affaire. Mais le débat sur la double poursuite ne fait que commencer

C'est là que le bât blesse. Jusqu'à présent, l'AMF pouvait transmettre au parquet les dossiers lui semblant relever du pénal. Mais elle continuait en parallèle sa propre enquête. " Désormais, il va falloir hiérarchiser les poursuites ", résume Jean-Yves Le Borgne, un des avocats de John Leahy, l'actuel directeur commercial d'Airbus.

Le jeune PNF, fort d'un an d'existence seulement, compte bien en profiter pour asseoir sa légitimité en la matière. " Il y a une concertation à avoir entre l'AMF et nous, pour aiguiller les dossiers. Reste à savoir qui décidera ! ", soulignait Mme Houlette à l'issue de l'audience, lundi. Dans une interview aux Echos, la semaine dernière, la procureure avait plaidé pour une " coopération " entre les deux institutions. Tout en soulignant que " l'opportunité des poursuites pénales est une prérogative du parquet et qu'il est difficilement concevable que le choix de la voie pénale dépende d'une décision administrative "…
Forte technicité

" La coopération entre l'AMF et le PNF est d'ores et déjà très étroite. L'AMF est prête à la renforcer tant que cela ne remet pas en cause ses règles internes de fonctionnement ni son indépendance ",rétorque-t-on à l'AMF. Le gendarme de la Bourse peut se targuer d'une forte technicité de ses enquêteurs et d'une plus grande célérité : il lui faut en moyenne deux à trois ans pour constituer et instruire les dossiers, contre dix à douze ans au pénal. Il s'emploie aussi à souligner qu'il ne délivre pas une justice au rabais. Depuis 2010, la commission des sanctions de l'AMF peut en effet infliger des amendes allant jusqu'à 100 millions d'euros (contre 10 millions d'euros auparavant), contre 1,5 million au maximum au pénal. En revanche, l'Autorité ne peut pas prononcer de peines de prison, et les parties civiles n'ont pas voix au chapitre.

De son côté, le PNF détient un pouvoir d'investigation plus important : il peut perquisitionner sans autorisation ou procéder à des écoutes. Mais sa lenteur lui fait perdre en efficacité pédagogique et dissuasive. Au reste, les cas de doubles sanctions sont rares : moins de dix dossiers sur 300 depuis 2010. En règle générale, le parquet, qui se prononce une fois que la Commission des sanctions de l'AMF a rendu sa décision, en tient compte dans la peine qu'il réclame à son tour.
" Une enquête commune "

" Si le système pénal a une charge symbolique plus forte et des moyens cœrcitifs supérieurs, - … - son rôle dans notre domaine reste limité puisque, depuis 2004, aucune peine de prison ferme n'a été prononcée pour un abus de marché ", a d'ailleurs souligné Gérard Rameix, le président de l'AMF, lors de la présentation du rapport annuel de l'Autorité, le 5 mai. Il souhaite, au final, que la répression pénale soit réservée aux cas les plus graves de délits boursiers, ce qui n'est guère contesté. Toute la difficulté étant de savoir comment les distinguer…

" Si la règle de l'aiguillage des dossiers - vers l'administratif ou le pénal - est retenue, on pourrait imaginer une enquête commune, avec d'abord une intervention de l'AMF, dont les enquêteurs sont de vrais techniciens, puis l'adjonction de policiers si besoin ",estime Aurélien Hamelle, associé chez Allen & Overy et avocat de Daimler dans le procès EADS. Quant aux règles d'aiguillage, " si elles sont fonction de la gravité des faits reprochés, on peut tenir compte du montant de l'infraction, de la capitalisation de la société concernée, ou encore du nombre de personnes soupçonnées ", décrypte M. Hamelle.

Mais qui trancherait in fine sur la juridiction ad hoc ? " Ce pourrait être l'AMF, le PNF ou une commission paritaire, sorte de chambre préliminaire composée de magistrats ", selon M. Hamelle. " La légitimité voudrait que ce soit le parquet qui décide de l'orientation des dossiers. Mais aujourd'hui, l'AMF est la plus rapide à démarrer - les enquêtes - . Or en pratique, c'est souvent la rapidité qui a gain de cause… ", souligne Me Le Borgne, l'avocat de M. Leahy.

S'ils ne veulent pas que le législateur tranche dans le vif, l'AMF et le parquet semblent donc condamnés à s'entendre. Le débat ne fait que commencer.

Audrey Tonnelier

Une audience sans suspense

Le parquet ayant décidé de requérir la fin des poursuites, l'issue du procès EADS ne faisait guère de doute, lundi 11 mai. La vingtaine d'avocats de la défense présents, aux côtés notamment de Noël Forgeard, l'ancien coprésident d'EADS, ont donc pu savourer le moment. " Il est rare que l'avocat d'un prévenu remercie le tribunal ", a souri Jean Veil, l'avocat de Lagardère. " Errare humanum est, perseverare diabolicum " a cité Jean-Alain Michel, avocat de M. Forgeard. Beaucoup moins enthousiaste, Fredérik Karel-Canoy, représentant de petits actionnaires parties civiles, a réclamé une poursuite des débats. " Il faut une réponse judiciaire pour restaurer la confiance des actionnaires " a-t-il lancé.

Rédigé par Philippe NOVIANT

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