Ca vous dit un petit plat d'insectes ?

Publié le 14 Décembre 2012

insectes-repas.jpg"Pour préserver l'état de la planète, bouffez des insectes !", telle pourrait être la devise de cet article. Les insectes préservent plus la planète que les autres sources de protéines. De là à convertir les hommes à manger ce genre de plats, il y a cependant un pas à franchir...

Un article du journal 'Le Monde' daté du 28 Septembre 2012

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REPORTAGE
Des usines d'insectes pour nourrir les Chinois

Une industrie naît dans le pays afin d'offrir une alimentation bon marché et riche en protéines

Li Jinsui ne manque pas d'ambition. Il fait fièrement visiter l'usine d'insectes pour laquelle il a déposé sept brevets et investi l'équivalent de 250 000 euros de sa poche. Sur les hauteurs de Kunyang, cité satellite de Kunming, la capitale de la province du Yunnan (sud-ouest), la production a réellement débuté en 2009.

Aucun de ses invités n'échappe à un plat de vers de bambou, affichés à son catalogue. La liste ne s'arrête pas là. Son entreprise, Yunnan Insect Biotechnologies, propose larves séchées, poudre de protéine extraite d'exosquelettes d'insectes et insectes en entier, le tout destiné à la consommation humaine et animale.

Li Jinsui, un précurseur ? Fort probable. De plus en plus d'experts de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) voient dans le développement de l'entomophagie un substitut à la viande ou au poisson. Et une alimentation meilleur marché pour les élevages animaliers, notamment les fermes aquacoles.

Les qualités nutritionnelles - protéines, minéraux, etc. - des insectes sont importantes. Qui plus est, ils présentent un bien meilleur rendement que le bétail traditionnel. Ils ont également besoin de beaucoup moins d'eau. Actuellement, 70 % environ des terres arables et 9 % de l'eau douce sont consacrés à l'élevage, responsable en outre de 18 % des émissions de gaz à effet de serre.

M. Li a travaillé douze ans pour lancer son usine. Il est à l'avant-garde d'une industrie chinoise balbutiante et a reçu l'aval des autorités locales. " Le marché est prêt ", dit-il. " Il y a pénurie de protéines dans le pays. Il faut en passer par l'importation de poissons du Chili ou du Pérou, explique cet homme de 45 ans. Et pour les humains, le savoir manque sur le potentiel des insectes comme source de nutrition. "

Ses recherches l'ont conduit à se focaliser sur une espèce : La mouche. " C'est la clé ", lance-t-il. Elle est particulièrement répandue, pas nocive pour son environnement, comestible par l'homme et l'animal et peut même servir dans l'industrie pharmaceutique. Sa chitine, composant principal de la carapace des crustacés et des arthropodes, renforce ainsi les défenses immunitaires.

Li Jinsui n'est pas le seul à avoir fait tous ces calculs. Il a des concurrents, par exemple dans la province du Shandong, à 2 000 kilomètres au nord-est. Mais il prend un malin plaisir à expliquer pourquoi ces éleveurs d'insectes ne parviendront pas à produire à plus grande échelle si un marché de masse apparaît : " D'un point de vue technologique, ils vivent encore dans les années1970,ils ne produisent que 50 à 100 kg par jour, ils seront incapables de passer à la vitesse supérieure. "

Pour le moment, M. Li dit pouvoir livrer quotidiennement 150 kg de vers de mouche, mais il promet que la " phase 3 " du développement de l'usine l'amènera à 10 tonnes chaque jour, dès 2015, car tout ce qu'il vend est acheté d'emblée, précise-t-il, en entrant dans une pièce où volent deux millions de mouches.

Reste toutefois à peaufiner ses recherches et à parvenir à nourrir les mouches de son de riz et non de déjections animales, comme c'est le cas à présent, ce qui les rend impropres à la consommation humaine.

Il faudra par ailleurs réussir à convaincre le consommateur de déguster ces repas qui inspirent jusqu'à maintenant plus de dégoût que d'envie. Si les palais chinois semblent se faire aux vers de bambou, c'est loin d'être le cas pour les larves. " Les voir dans son assiette suscite une réticence psychologique difficile à dépasser ", reconnaît M. Li. Comment la combattre ? Il faut investir dans l'éducation et convaincre de la valeur nutritionnelle des insectes ; " c'est un travail ardu, mais nous devons nous en charger ", ajoute l'entrepreneur.

L'utilisation des insectes relève des traditions culinaires dans cette province peuplée de minorités. Sur le marché de Mangshi, une ville modeste à deux heures de route de la frontière birmane, on vend toujours des nids de guêpes, à 160 yuans la livre (20 euros). L'acheteur extraira une à une les larves vivantes de leur alvéole, avant de les faire frire au wok.

" Les conditions économiques sont dures pour les habitants de la région, tous ne peuvent pas acheter du boeuf. Même élever un porc nécessite de le nourrir et de patienter pendant deux ans, c'est long et, à leur échelle, onéreux ", explique Guo Yunjiao, professeur de biologie à l'institut de recherche sur les insectes de l'université locale. Dans les villages de la région, cet expert explique aux habitants comment développer durablement une exploitation d'insectes, ce qui nécessite des compétences techniques précises. Ici, la méthode la plus répandue consiste à brûler le nid de guêpes, quitte à tuer la reine. M. Guo se rend dans les villages pour enseigner l'enfumage.

La montée du cours des larves d'abeille suscite des vocations. Depuis cinq ou six ans, des habitants des plaines se mettent à leur tour à la culture d'insectes autour de Mangshi. Guo Yunjiao raconte aussi, peut-être avec une légère emphase, avoir reçu " 10 000 lettres ou e-mails de demandes de conseils " lorsque la télévision nationale s'est penchée sur son enseignement, signe de l'intérêt de paysans déshérités pour ces bestioles nourrissantes.

Li Jinsui, lui, se félicite que les habitants de ces régions reculées perpétuent les traditions, mais il pense qu'il est grand temps pour la Chine de passer à la production d'insectes à échelle industrielle. Plus de 200 espèces sont comestibles, or seule une poignée peut être élevée à l'échelle familiale. Et les dénicher en milieu sauvage requiert une importante main-d'oeuvre.

Ne reste donc qu'à ouvrir des usines et développer de nouveaux procédés techniques, ce qu'il continuera de faire sur les 27 hectares de terrain qu'il a acquis. Si la consommation d'insectes venait un jour à se banaliser, il pense avoir ses chances de devenir le leader mondial sur ce marché, avec à la clé 60 % de retour sur investissement.

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Harold Thibault

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Sur lemonde.fr

Rédigé par Philippe NOVIANT

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