La Chine sous son meilleur angle démocratique

Publié le 21 Janvier 2014

carte-chine1Ah qu'il est beau ce pays qu'est la Chine ! Cette belle Démocratie qui n'est absolument pas gangréné par l'idéologie communiste ! Ce pays où il fait bon vivre et où le peuple a, dans son ensemble, accès à une information libre et indépendante ! Ce pays ouvert et généreux où l'on peut surfer sur Internet en tout anonymat et où on peut y glaner toutes les informations voulues ! Ce pays sans censure et aux mille libertés !

...Nan, je déconne...

Un article du journal 'Le Monde' daté du 20 Septembre 2013

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TéMOIGNAGE
Tencent, la censure au quotidien
Un développeur du géant chinois de l'Internet raconte son " sale boulot "
Shenzhen (Chine) Envoyé spécial

Au début, Wang y a cru. Son diplôme d'ingénierie en poche, le jeune homme était fier de décrocher un emploi chez Tencent, fleuron du Net chinois, connu pour son service de messagerie en ligne, QQ. Il s'installe à Shenzhen, emblème de la Chine ouverte, et devient développeur de produits. Le job allie la créativité aux nouvelles technologies. " Bosser pour une grande entreprise de la high-tech, je trouvais cela gratifiant ", se souvient-il, assis dans le restaurant qu'il a rejoint pour sa pause de midi et situé près du siège de Tencent.

Mais ce brillant geek déchante vite. " Je me suis senti mal à l'aise à faire le sale boulot. " C'est que les équipes de Tencent doivent consacrer une partie de leur énergie à intégrer les mécanismes de censure aux applications ou aux forums de discussion sur lesquels ils travaillent ; au moins autant, en tout cas, qu'à l'innovation.

C'est la condition pour profiter d'un marché de 591 millions d'internautes. Et les géants du Web chinois doivent faire preuve de zèle : pas question d'attendre qu'un scandale éclate pour faire disparaître les posts de blogs de ceux qui osent critiquer le Parti communiste chinois (PCC), son histoire tourmentée ou ses dirigeants.

Alors que le gouvernement a récemment annoncé un renforcement des sanctions à l'encontre des blogueurs - ils seront poursuivis s'ils lancent des " rumeurs " vues plus de 5 000 fois ou partagées plus de 500 fois -, des groupes comme Tencent et ses concurrents s'assurent depuis longtemps que les sujets tabous ne se répandent pas sur la Toile.

Cette tâche passe par l'installation de filtres dans les produits, afin d'empêcher, en amont, la diffusion de certains propos. Et c'est ce que fait Wang. Cela passe également par la constitution d'équipes chargées du " ménage " des contenus sensibles, une fois que ceux-ci sont publiés.

Wang accepte d'en parler, car il a ses convictions. Il pense que la Chine progresse mais qu'elle se porterait mieux si ses citoyens n'étaient pas muselés : " Mon opinion est que rien ne justifie cette censure. "

Et, dès le début, la tâche ne lui est pas apparue aisée. Certes, techniquement, il suffit d'intégrer des fonctions déjà définies par les programmeurs d'autres services, mais il n'y a pas de mode d'emploi précis sur la censure.

" Des collègues m'ont conseillé de demander à un type de l'équipe de sécurité. "Il t'expliquera un truc", m'a-t-on dit. Il n'y a pas de documentation interne sur le sujet ", relate le jeune homme. Cette discrétion permet d'éviter les fuites.

Début 2013, un manager chez le concurrent Sina se justifiait ainsi sur un compte anonyme de la messagerie Weibo : " Si nous n'effaçons pas vos messages, l'alternative est d'interdire votre compte. Cette plate-forme appartient au public. Elle a changé nos vies et peut exercer une influence sur la société et le gouvernement par la transmission des opinions. "

Wang pense pour sa part qu'il y a une autre logique à cette absence d'explications : " Ils ne vont jamais te dire, pour que tu fasses au mieux. " Et cela fonctionne, dit-il : " Si tu as une idée, que tu parviennes à convaincre de la développer, que tu travailles des mois sur un produit, alors tu inclus le meilleur filtrage toi-même. "

Concrètement, tous les services de Tencent accessibles au public renvoient à un même point, un serveur où s'effectue le filtrage : " Quel que soit le produit utilisé, un site Web, une application, dès lors qu'un message est posté, il passe par notre serveur. Idem sur WeChat - application de messagerie rapide, utilisée principalement sur les smartphones - ".

Cette centralisation permet de mettre à jour la base de données des termes interdits, dont la seule évocation suffit à voir s'afficher le message " connexion interrompue ". Car il n'est pas question de dire qu'un mot est censuré pour son contenu politique : " On dira qu'il y a une erreur de serveur ou quelque chose du genre. "

Pendant qu'il déjeune, Wang fait la liste des subtilités qui permettent d'assurer que la police politique identifie les critiques du régime tout en dissimulant la complicité de Tencent.

Lorsqu'un forum de discussion ouvert par des internautes est fermé pour avoir abordé un thème tabou, le créateur d'un post ne peut plus s'en défaire. Et s'il efface ses messages ? " Ils gardent une copie de l'historique sur le serveur ", pendant trois à six mois, dit Wang. Et il poursuit : " Les autorités ont le privilège d'accéder aux historiques, donc elles savent tout sur vous dès lors que vous utilisez nos services. "

Si un forum de discussion rassemble plusieurs internautes, Tencent donne à celui qui écrit sur les sujets interdits l'impression que ses messages sont parvenus à ses amis mais ceux-ci ne les verront jamais. Résultat escompté : que l'auteur, qui a franchi les limites du politiquement correct, pense qu'il n'a obtenu aucune réponse par manque d'intérêt.

" Le système s'adapte plus vite qu'il y a quelques années ", juge Wang. Les entreprises craignent que Pékin débranche leurs serveurs. Ce qui s'est produit le temps d'un week-end pour Sina Weibo, un équivalent de Twitter, au printemps 2012. " Les sociétés font de plus en plus d'efforts simplement pour s'assurer que leurs produits pourront atteindre le marché ", note-t-il.

Chez Tencent, une difficulté consiste à gérer les requêtes des officiels soucieux d'effacer des contenus embarrassants. Elles sont quotidiennes et arrivent par toutes les voies possibles. C'est le travail du kefu, le service clients de Tencent, de centraliser ces demandes : " Il gère l'effacement, les pertes de mots de passe, les demandes du gouvernement ", résume Wang.

Un autre développeur, ami du jeune développeur, raconte comment il a été contacté par un ancien camarade de classe de son épouse. Devenu employé municipal dans le nord de la Chine, celui-ci voulait faire effacer des posts de blog médisants sur le maire. La requête a été transférée au service de Tencent chargé de faire le ménage et les messages ont disparu miraculeusement.

" C'est l'idée, conclut cette personne. Si Pékin veut que quelque chose disparaisse, tu t'exécutes sans délai. " La déférence a aussi sa géographie. Il faut être particulièrement attentif à ne pas froisser les autorités de Shenzhen, puisque l'entreprise est implantée sur leur territoire.

Autant que Wang, son ami a contribué à développer plusieurs produits chez Tencent. " La combinaison de sujets sensibles et de spams nous a forcés à ajouter une liste noire de termes. Ils ne peuvent pas faire l'objet de recherches et n'apparaissent jamais dans la liste de sujets populaires. J'ai mis en oeuvre le mécanisme mais je n'étais pas très fier ; mes collègues non plus ", se remémore ce jeune homme.

Tencent veut se développer à l'international et dit déjà disposer de cent millions de comptes créés à l'étranger, notamment dans la diaspora. Pour autant, la censure ne disparaît pas. Test : deux usagers situés chacun à Paris tentent de s'envoyer un message évoquant, en caractères chinois, le " falungong ", ce mouvement spirituel durement réprimé en Chine. Résultat : ça ne passe pas et le texte suivant s'affiche : " Votre message n'a pas pu être envoyé du fait des lois, réglementations et politiques locales ", quand bien même ces deux personnes relèvent du droit français.

Pour un pays qui se rêve un jour à la pointe de l'innovation, combien d'énergie est consacrée à maintenir le contrôle du parti unique ? Combien de jeunes têtes brillantes comme Wang, déçues d'observer et de censurer leurs concitoyens ? Sollicitée, la direction de Tencent n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

Chez un autre géant du Web chinois, un haut responsable confie que ce contrôle pèse sur l'emploi du temps des dirigeants, convoqués à de multiples réunions où ils doivent réaffirmer leur loyauté à l'Etat-parti et leur soumission à ses censeurs. " Cela a aussi un coût, difficile à chiffrer mais très pesant, car il affecte les plus hauts dirigeants, dont le temps est d'une grande valeur ", juge cette personne.

Wang, lui, s'est résigné : " Je ne pense pas que je puisse faire quoi que ce soit, c'est une machine énorme. " Ses collègues semblent avoir la même opinion, même s'ils n'évoquent pas vraiment le sujet entre eux. " Ils m'ont juste dit : "Tu n'as qu'à t'habituer" ", précise Wang.

Harold Thibault

Rédigé par Philippe NOVIANT

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