Même les ultra-libéraux peuvent entendre raison
Publié le 5 Mars 2015
Même dans un pays où les banques peuvent être reines, on peut avoir des décisions courageuses. Londres est en train de faire volte-face en la matière : enfin on prévoit de taxer un peu plus les banques en ne leur signant plus un chèque en blanc à chaque fois qu'elles font des pertes. C'est une avancée, une avancée majeure !
Avant, on pouvait avoir des organismes financiers sortir de l'impôt pendant quinze ou vingt ans. Cela va devenir impossible par le plafonnement des pertes donnant droit à déduction.
On va aussi fortement freiner les avantages liés à l'évasion fiscale des entreprises.
Une avancée majeure que la France serait bien avisée de suivre...
Un article du journal 'Le Monde' daté du 5 décembre 2014
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Londres taxe les banques et les multinationales
Le gouvernement britannique va alléger la fiscalité sur l'immobilier et alourdir celle sur les entreprises qui tentent d'échapper à l'impôt
Le Royaume-Uni est le pays qui connaît la croissance la plus rapide de toutes les grandes économies avancées. " A cinq mois d'élections législatives indécises, le traditionnel discours budgétaire d'automne a été l'occasion pour le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, mercredi 3 décembre, de dresser un bilan avantageux et triomphaliste de l'action du gouvernement Cameron. Le ministre des finances, artisan de la politique d'austérité menée depuis 2010, a déployé devant les députés toute la panoplie des statistiques encourageantes et des comparaisons flatteuses – au détriment de la France notamment –, sans oublier d'adresser quelques clins d'œil aux électeurs.
Il s'est en revanche montré plus discret sur son incapacité à réduire le déficit, qui s'élève cette année à 5,3 % du produit intérieur brut – l'un des plus élevés d'Europe –, qui le conduit à prôner la poursuite d'une politique drastique de réduction des dépenses.
Avec 3 % de croissance prévus pour 2014, alors que la zone euro peine à sortir de la stagnation, M. Osborne a, il est vrai, de quoi pavoiser. Notre croissance est " deux fois et demie plus rapide que l'Allemagne, sept fois plus que la France ", a-t-il claironné en ironisant sur la proximité entre le leader travailliste Ed Miliband et le président François Hollande. Portée par le dynamisme de la consommation et de l'investissement, la reprise britannique a permis de réduire le chômage à 6 %. " Nous créons 1 000 emplois par jour ", s'est félicité le ministre.
Alors que les conservateurs sont jugés nettement plus crédibles en matière économique que les travaillistes, ces bons chiffres seront leurs meilleurs arguments dans la campagne électorale qui, de fait, s'ouvre avec le discours de mercredi.
Le ministre a tenté de minimiser son échec sur le déficit budgétaire en alléguant la lourdeur de l'héritage légué par le gouvernement travailliste, la conjoncture internationale et la baisse des revenus pétroliers de mer du Nord, afin de faire oublier qu'il avait promis de parvenir à l'équilibre en 2015. Il renvoie désormais cet objectif à 2018, à condition que les conservateurs restent au pouvoir.
L'une des causes principales du déficit élevé réside dans la faiblesse des recettes fiscales, dont l'augmentation est cinq fois moins élevée que prévu cette année. Cette atonie fiscale est liée au fait qu'une grande partie des emplois nouvellement créés sont peu qualifiés et mal rémunérés, et que leurs titulaires sont donc peu ou pas assujettis à l'impôt sur le revenu. Les conservateurs ont " trahi toutes leurs promesses sur l'économie ", a réagi M. Miliband.
En dépit de ce déficit, M. Osborne a sorti de son chapeau un cadeau préélectoral hautement symbolique dans ce pays obsédé par l'accès à la propriété immobilière : le droit de timbre payé sur les ventes immobilières va devenir plus progressif. Le changement a pour effet de réduire le prix du timbre dans 98 % des transactions. Celui-ci n'augmentera que pour les logements les plus chers (au-delà de 1,2 million d'euros). Pour une propriété de prix moyen, l'économie s'élèvera à environ 5 000 euros.
Les riches étrangers sont visés
M. Osborne va financer ce geste en visant trois cibles : les banques, les multinationales des nouvelles technologies et les riches étrangers. De bonne guerre à six mois d'une élection. L'impôt qui doit rapporter le plus (près d'1 milliard d'euros par an) concerne les établissements financiers. Actuellement, ceux-ci peuvent déduire de leur ardoise fiscale les pertes réalisées les années précédentes. " Certaines banques ne vont ainsi pas payer d'impôts pour quinze et vingt ans ", s'est étranglé M. Osborne. Il a donc décidé de plafonner le montant des pertes qui pourront être déduites.
Le deuxième impôt est une sorte de " taxe Google " aux contours flous mais qui, selon le Trésor, doit rapporter plus de 400 millions d'euros par an. Il s'agit d'imposer à 25 % les bénéfices réalisés au Royaume-Uni, mais " artificiellement transférés dans un autre pays ". M. Osborne vise des entreprises comme Google ou Amazon, très actives au Royaume-Uni mais qui y paient très peu d'impôts. Comment identifier l'argent transféré " artificiellement " ? Certains fiscalistes soupçonnent que cette annonce ne soit en fait qu'une façon de préempter les grandes réformes internationales en cours, notamment la future obligation pour les entreprises de publier leurs bénéfices pays par pays.
Enfin, les riches étrangers, qui bénéficient du système des " non-domiciliés ", vont être mis à contribution. Ce régime, très avantageux pour les grosses fortunes, permet de ne payer des impôts que sur les sommes rapatriées au Royaume-Uni. L'argent qui demeure hors des frontières est exempté. Pour bénéficier de ce système, il faut actuellement payer un forfait de 60 000 euros par an. Ce montant va désormais passer à 115 000 euros pour ceux qui vivent outre-Manche depuis plus de dix-sept ans.
Eric Albert, et Philippe Bernard