Quand Sarkozy sait faire fructifier ses affaires...
Publié le 30 Avril 2015
Encore une belle preuve que M. Nicolas Sarkozy n'a pas les qualités de probité que l'on pourrait attendre de son statut d'ancien chef de l'Etat...
Entre des travaux d'un cabinet illégaux, et des revenus liés à des fonctions pas toujours en adéquation avec son statut, on est en droit de se poser un certain nombre de questions.
En tout cas, un bel article qui démontre que le sens de l'intérêt général de M. Nicolas Sarkozy est très relatif quand on pense au montage financier de sa structure qui lui permet de payer moins d'impôts... De plus, comment peut-on penser un seul instant que le cabinet ne bénéficie nullement du statut de son principal associé ? Il est évident que lorsqu'un cabinet d'avocats défend l'intérêt des entreprises, le président-avocat perd son indépendance vis à vis de cette clientèle !
Un article de L'Obs du 29 Janvier 2015
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Sarkozy avocat : les coulisses d'un business très discret
Cofondateur d'un cabinet d'affaires, l'ancien chef de l'Etat vient de voir son associé mis en examen dans le dossier Balkany. Retour sur près de 30 ans d'un business florissant.
C'est une histoire insolite, celle d'un ancien président de la République bataillant en justice sur l'usage d'un appartement. Elle met en scène le cabinet d'avocats de Nicolas Sarkozy, dont il possède 34% des parts. Installé au 52, boulevard Malesherbes, à une centaine de mètres de l'église Saint-Augustin, ce quartier dont Proust écrivait qu'il était un des plus laids de Paris, Claude & Sarkozy connaît depuis quelques années une irrésistible ascension.
En 2012, il lui a fallu s'étendre, louer de nouveaux locaux, 195 mètres carrés au rez-de-chaussée, qui se sont ajoutés à ceux du premier étage. Casser les cloisons de cette bâtisse haussmannienne pour former un duplex –746 mètres carrés au total– et accueillir une trentaine de collaborateurs et de salariés. Aménager une entrée élégante, à l'instar des firmes américaines, portes vitrées coulissantes où s'inscrit le logo de l'établissement.
Autant de travaux qu'en réalité le cabinet n'avait pas le droit d'effectuer. Le 2 octobre 2012, la mairie de Paris avait refusé le changement d'usage de l'appartement du rez-de-chaussée, destiné jusque-là à l'habitation. Les services municipaux avaient de surcroît exigé une compensation financière pour une partie du premier étage. Depuis, Claude & Sarkozy a contesté, porté l'affaire devant le Conseil d'Etat, déposé une question prioritaire de constitutionnalité, rejetée l'an passé. C'est maintenant au tribunal administratif de trancher. S'il confirme l'interdiction, une indemnisation de 930.000 euros devra être versée à la mairie. "A la charge de notre propriétaire", prévient-on chez Claude & Sarkozy.
Pour la mairie, peu importe. Faute d'accord financier, son directeur juridique, Damien Botteghi, n'exclut pas de faire déloger le cabinet. Et pour ce faire, de saisir le procureur de la République pour "infraction à la règlementation du changement d'usage". Ce n'est pas la première fois que le cabinet de l'ancien président se fait épingler pour un litige immobilier. En 2004, une voisine du 52, boulevard Malesherbes, l'avocate Catherine Gouet-Jenselme, lui avait sous-loué une partie de ses bureaux, au quatrième étage. Après plusieurs impayés, elle avait fini par saisir le Conseil de l'Ordre, qui avait exigé le règlement des sommes dues.
"Réintégration effective d'un ancien associé"
Même s'il a occupé les fonctions les plus éminentes, Nicolas Sarkozy a toujours été très secret sur ses activités d'avocat. Il exerce pourtant depuis trente-cinq ans, et il est peu fréquent de cumuler de telles responsabilités dans la vie publique et un intérêt financier important dans un cabinet d'affaires reconnu sur la place de Paris.
Depuis 2009, le chiffre d'affaires de Claude & Sarkozy a doublé, à 5,1 millions d'euros. Sur la seule année 2013, il a progressé de 23% grâce à "la réintégration effective d'un associé", explique le cabinet. L'associé en question, c'est bien sûr Nicolas Sarkozy, redevenu avocat après sa défaite présidentielle, en 2012. Un bureau lui a été aménagé, au premier étage sur cour, même si, contrairement à son fils Jean, il ne s'y rend presque jamais.
Jusqu'alors, le cabinet réalisait l'essentiel de son activité en France. Changement de cap en 2013, avec 1,5 million d'euros de revenus générés à l'étranger. L'effet Sarkozy ? "Ce chiffre d'affaires a été réalisé quasiment exclusivement à destination des pays européens et nord-américains", précise-t-on chez Claude & Sarkozy.
Le relatif anonymat du cabinet a pris fin en décembre avec la mise en examen, par le juge Van Ruymbeke, de l'associé historique de Nicolas Sarkozy, Arnaud Claude, pour "blanchiment de fraude fiscale". Celui-ci est suspecté d'avoir aidé Patrick Balkany, maire de Levallois et ami de Sarkozy, à échafauder de tortueux circuits financiers afin de cacher des avoirs au Maroc et à Singapour.
Sarkozy jamais très loin
Costume impeccable, courtois, la raie sur le côté, Me Claude gère le cabinet au quotidien. Jusqu'ici, il faisait figure d'avocat sans histoires, sérieux, bonne réputation. Un spécialiste des expropriations, pour le compte de municipalités comme Levallois, Puteaux, de sociétés d'économie mixte, de promoteurs. Aucune aspérité apparente sinon une passion pour les chevaux : il a longtemps consacré une partie de son argent à entretenir une écurie de polo en Normandie. En 2010, durant le quinquennat de son ami et associé, il a été fait chevalier de la Légion d'honneur. Dans la plus grande discrétion, comme à son habitude.
Tout en poursuivant sa carrière politique, et même s'il s'est fait omettre de l'ordre des avocats quand il était ministre, Nicolas Sarkozy a, pour sa part, toujours veillé aux affaires de sa petite entreprise. Révélés par Mediapart, des mails échangés entre Thierry Gaubert, son ancien factotum, et Charles Milhaud, l'ex-président des Caisses d'Epargne, témoignent de ce vif intérêt.
Le 6 décembre 2003, alors que Nicolas Sarkozy est ministre de l'Intérieur, Thierry Gaubert écrit un courriel intitulé "Arnaud Claude" : "NS me demande de vous transmettre ses remerciements pour le dossier que vous venez de lui confier." Réponse de Charles Milhaud : "Vous a-t-il dit de quelle affaire il s'agissait ?" Thierry Gaubert : "En fait NS a constaté sur un tableau récapitulatif que le volume d'activité avec CF a doublé (7 dossiers) en quelques semaines et en était très satisfait." La mention CF fait référence au Crédit foncier, filiale des Caisses d'Epargne.
Douteuse "vente à soi-même"
Parvenu à l'Elysée, Nicolas Sarkozy s'est montré très vigilant à ne pas apparaître lié au cabinet. Pour bien marquer son désengagement, il a ainsi loué ses parts à Arnaud Claude (2.000 euros par mois, nous a appris ce dernier). Etre président de la République ne l'a toutefois pas empêché de prendre part à un étrange Monopoly financier, un montage baptisé "owner buy out" (OBO) par les spécialistes. Une opération que le fisc considérait comme un abus de droit, avant qu'un arrêt du Conseil d'Etat, le 27 janvier 2011, ne le contraigne à assouplir sa position. Dès la veille, pourtant, le 26 janvier, Arnaud Claude et Nicolas Sarkozy déposaient les statuts d'une société à leurs initiales, CSC (Claude Sarkozy Claude). Grâce à un emprunt bancaire, cette structure rachetait ensuite, le 3 mars 2011, les parts du cabinet à… Arnaud Claude et Nicolas Sarkozy.
Incompréhensible pour les béotiens, ce montage de "vente à soi-même" est en réalité assez simple : il permet aux deux associés de recevoir une importante somme en cash – la participation de Nicolas Sarkozy était alors valorisée 544.000 euros – tout en conservant le contrôle du cabinet. Il présente également un autre avantage, non négligeable : leur faire payer moins d'impôts et de charges sociales. Les associés profitent d'une fiscalité plus attrayante (les plus-values sont moins imposées que les dividendes). Et ils échappent au paiement des charges sociales sur ces mêmes dividendes (les bénéfices du cabinet servant à rembourser l'emprunt).
Dans sa réponse à "l'Obs", Arnaud Claude dément toute velléité d'optimisation fiscale :
"Contrairement à votre affirmation, il ne s'agit pas d'une opération financière, mais d'une opération de prospective et de développement."
En novembre 2012, juste après son départ de l'Elysée, Nicolas Sarkozy est devenu directeur général de CSC, sans que l'on sache la nature exacte de cette fonction et son éventuelle rémunération.
Quelle influence sur la politique ?
Aujourd'hui, le cabinet Claude & Sarkozy peut s'enorgueillir du nombre élevé de clients prestigieux qu'il a défendus. Beaucoup ont été amenés par Nicolas Sarkozy, dont le carnet d'adresses n'a cessé de s'étoffer au fil de son parcours politique : les groupes Bouygues et Générale des Eaux (à l'époque dirigée par Jean-Marie Messier), le laboratoire Servier (celui qui a conçu le Mediator), qu'il a aidé à monter sa fondation aux Pays-Bas, les constructeurs automobiles Toyota, Subaru et, depuis peu, Ferrari. L'Institut Pasteur. Les mairies de Levallois et de Puteaux. Les assureurs Gan et Generali. Les banquiers Rothschild ou General Electric Capital Bank. En off, un ancien collaborateur reconnaît que le nom de Sarkozy a permis de drainer une clientèle importante. Mais, nuance-t-il, "cette connotation politique a aussi des effets repoussoir sur d'autres clients éventuels".
Reste cette question : en rémunérant un cabinet dont il est associé, ces entreprises ont-elles une influence sur l'action politique de Sarkozy ? Un exemple illustre les ambiguïtés de cette double casquette. En 2004, Arnaud Claude défend, devant la cour d'appel de Versailles, plusieurs sociétés de crédit à la consommation, Cetelem, Cofidis ou Covefi, dans des litiges contre des particuliers insolvables. A la même époque, Nicolas Sarkozy vient d'être nommé ministre de l'Economie. Le 4 mai, il présente un plan de relance de la consommation. Parmi ses trois mesures phares, une réduction d'impôts de 150 euros pour les particuliers souscrivant un crédit à la consommation ! "La déduction fiscale qui ravit les banquiers", titre alors "le Figaro". Interrogé par le journal, le cabinet du ministre expliquait fièrement :
"La paternité de cette idée revient personnellement à Nicolas Sarkozy."
Un cabinet à l'histoire peu banale
De ce cabinet, qui fêtera ses trente ans en mars 2017, l'histoire est décidément peu banale. Celle de trois copains, Michel Leibovici, Arnaud Claude et Nicolas Sarkozy, jeunes avocats installés rue Georges-Berger, dans le 17e arrondissement, au début des années 1980. La gauche vient d'arriver au pouvoir, mais seul Nicolas Sarkozy s'intéresse à la politique. Lui et Leibovici travaillent pour Guy Danet, une figure du barreau, qu'ils aideront à devenir bâtonnier de Paris. Plus réservé, Arnaud Claude s'occupe de droit immobilier.
Une quinzaine de collaborateurs fréquentent les bureaux, partageant parfois, sandwich à la main, un banc du parc Monceau, juste à côté. Se retrouvant le dimanche pour potasser un dossier. "Des bureaux avaient été installés dans les chambres de bonne, au sixième étage", se souvient l'avocat Robert-Jean Nectoux. C'est là que travaille le jeune Sarkozy. Un statut qui change radicalement en 1983, quand il est élu, à 28 ans, maire de Neuilly. Il prend alors l'habitude de venir en voiture de fonction, quand les pontes du cabinet doivent, eux, tourner longtemps avant de trouver une place pour se garer.
Sarkozy, Leibovici et Claude sont déjà mariés avec enfants. Les trois discutent tantôt sport, tantôt vie de famille. Autant Leibovici est une forte personnalité, enthousiaste, jovial, un sens aigu des affaires, autant Arnaud Claude est un juriste pur, "un très gros travailleur, le nez dans ses dossiers. Très droit, très loyal", raconte Roberte Martin, une ancienne de la rue Georges-Berger. Un introverti, mais affable, un côté protestant. En 1987, Arnaud Claude propose à Leibovici de s'associer. De plus en plus absorbé par sa carrière politique, Nicolas Sarkozy se greffe à eux, apportant la clientèle prestigieuse qu'il fréquente désormais à Neuilly.
Ne pas couler les rêves du vieil associé
Ainsi naît la SCP Leibovici Claude Sarkozy, domiciliée 52, boulevard Malesherbes. Dans l'immeuble, on croise Yves Saint-Laurent qui vient voir son dentiste ou Simone Veil visitant la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Leibovici est la tête pensante du cabinet, celui qui prend les décisions les plus sensibles. De petites structures sont rachetées, comme celle de Michel Le Troquer, le fils d'André, ex-président de l'Assemblée, condamné dans l'affaire des ballets roses.
Quand Sarkozy entame sa "traversée du désert", après la défaite de Balladur à la présidentielle de 1995, il se recentre sur sa carrière d'avocat, conseillant ses amis PDG, comme Martin Bouygues lors de la bataille boursière lancée par Vincent Bolloré. Le cabinet connaît un nouvel essor. Il arrive aux trois associés de passer des week-ends ensemble avec femmes et enfants. Un drame va cependant ébranler l'association : le décès de Michel Leibovici, en juin 1998, lors d'un stage de plongée en Espagne. Présent ce jour-là, Arnaud Claude remontera le corps de son ami à la surface.
Dix-sept ans plus tard, sa mise en examen marque peut-être une nouvelle étape dans l'histoire du cabinet. A 61 ans, Arnaud Claude passe de plus en plus de temps en Normandie. Son fils aîné, Christofer, pourrait, à terme, prendre la relève. Un bon connaisseur du 52, boulevard Malesherbes décrypte :
"Arnaud Claude ne veut pas couler le cabinet avec ses ennuis judiciaires."
Et surtout ne pas couler son vieil associé et ses rêves de revanche politique.
David Le Bailly