Un article économique très sympa

Publié le 28 Janvier 2014

2826be1dC'est vraiment un chouette article que celui-là ! On y apprend que la dette n'est pas une facilité et qu'elle peut se rembourser facilement... pour peu que l'on maîtrise la planche à billets... Las, ce n'est plus le cas aujourd'hui pour la France. La planche à billet est gérée par l'Europe qui maîtrise ses taux d'intérêts en limitant l'inflation. Pendant ce temps, il nous faut être rigoureux dans la dépense budgétaire. On ne peut plus rembourser nos dettes avec de la monnaie de singe, c'est cela qui a changé par rapport à cette époque !

En attendant, bonne lecture avec cet article qui est un véritable cours d'économie condensé : un must !

Un article du journal 'Le Monde' daté du 5 Octobre 2013

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Quand la France remboursait sa dette...
La hausse des prix entre 1945 et 1948 a permis à la France de sortir de son endettement accumulé depuis 1939. Mais les entreprises, privées de capitaux, en ont payé le prix fort

En 2013, l'Europe est engluée dans l'endettement. En France, la dette publique se monte aujourd'hui à 93,4 % du produit intérieur brut (PIB). Comme en 1939. Pourtant, dès 1950, le ratio est tombé à 30 % après avoir culminé à 250 % en 1944. Mais à quel prix ! Entre 1940 et 1944, le Trésor ne peut trouver dans l'impôt ou l'endettement à long terme de quoi couvrir les dépenses entraînées par la guerre puis par la défaite : la convention d'armistice de 1940 impose à la France 400 puis 500 millions de francs par jour pour l'entretien des troupes d'occupation.

La solution consiste à créer des francs supplémentaires, par l'intermédiaire des avances de la Banque de France, en violation de la politique monétaire traditionnelle qui interdit toute création de monnaie sans contrepartie productive. Or, à production inchangée, ces francs supplémentaires devraient faire monter les prix des biens et services. Pour l'éviter, le Trésor met en place la " politique du circuit " : forcer le retour des francs émis en incitant les Français à acheter de la dette publique pour empêcher que ce pouvoir d'achat supplémentaire ne tire les prix à la hausse. De plus, un appareil de contrôle rigoureux interdit augmentations de prix, importations de biens et exportations de capitaux.

Si la liberté n'a pas besoin de texte, la contrainte en exige beaucoup : pendant la guerre, une puissante administration de police économique constate deux millions d'infractions. Les sanctions les plus lourdes vont jusqu'à dix années de prison. Une part accrue de la production est acquise par l'Etat et l'occupant, obligeant les autres acteurs à diminuer leur consommation : c'est le rationnement. Les francs nouvellement créés finissent bien dans les poches des Français mais, pour les dépenser, il faut obligatoirement utiliser des tickets de rationnement qui restreignent la quantité " utile " de monnaie pour les consommateurs. Les Français sont ainsi " forcés " d'épargner en plaçant ces liquidités inutiles dans la dette publique que l'Etat émet en abondance. Le circuit est ainsi, en théorie, bouclé.

Fuyant ce jeu de dupes, les Français s'efforcent de préserver leur épargne en achetant des actifs réels. Pendant la guerre, le cours des actions est multiplié par quatre, celui des oeuvres d'art par sept et celui du napoléon par dix-neuf. Rapidement, c'est donc l'ensemble de l'économie qui doit être strictement administré. En émule de la politique allemande, Pétain explique dès 1940 que " la faillite universelle de l'économie libérale " nécessite une économie " organisée et administrée " dans laquelle " la monnaie doit être au service de l'économie ". De plus, les prix maintenus artificiellement bas dissuadent la production alors que les consommateurs disposent d'argent pour payer plus cher : le marché noir prospère.

Comment sortir de ce système, une fois la paix revenue ? En Allemagne, la solution est radicale. Le 21 juin 1948, les billets, comptes bancaires et dettes privées sont amputés de 93 % de leur valeur tandis que la dette publique est quasiment annulée. Mais les salaires sont maintenus. Du jour au lendemain, les Allemands, qui consacraient leur temps à chercher de rares produits pour dépenser l'argent dont ils disposaient en abondance, se mettent à produire afin de gagner l'argent nécessaire à leur consommation. Les mécanismes de l'offre et de la demande se rétablissent très vite. Alors que l'Allemagne végétait dans la misère, elle connaît une croissance de 40 % entre juin 1948 et 1950. La renaissance fulgurante de l'Allemagne se fonde sur ce nouveau deutschemark, convainquant durablement les Allemands des vertus d'une monnaie saine.

Cette politique brutale a pu être mise en oeuvre dans un pays vaincu et occupé par des militaires étrangers, sans comptes politiques à rendre. Mais dans la France de la Libération, comment concilier victoire et rigueur ? Les gouvernants français choisissent de poursuivre la " politique du circuit ", tout en réduisant l'appareil répressif de l'Occupation : les prix quadruplent entre 1945 et 1948, réduisant de 90 % la valeur réelle des dettes. L'Etat a donc " remboursé " sa dette avec des francs dévalués par l'inflation.

Il n'y a pas de miracle : les Français - comme les Allemands - ont payé. Jusque-là, les Français de tous milieux épargnaient, notamment pour leurs vieux jours. Ils achetaient actions et obligations d'entreprises et surtout la dette de l'Etat, la fameuse " rente ". Qu'ils soient propriétaires de ces rentes ou cotisants aux retraites ouvrières et paysannes créées en 1910, les épargnants français perdent donc très exactement ce que l'Etat gagne. Cette faillite des retraites par capitalisation impose la création du système actuel de retraite par répartition, qui remplace l'épargne par un prélèvement social, immédiatement redistribué et consommé.

De plus, l'inflation dissuade l'épargne productive : les capitaux désertent le marché financier pour s'investir dans des actifs tangibles ou à l'étranger. Le marché français, acteur majeur avant guerre, ne retrouvera jamais son rang international et peine à financer les entreprises. En 1952, le caractère vicieux du système se cristallise. Pour rassurer épargnants et consommateurs, l'Etat indexe sa dette sur l'or (emprunt Pinay) et le SMIG (salaire minimum, créé en 1950) sur les prix. Pour attirer l'épargne, la créativité financière multiplie ces indexations : sur les prix (billet de train ou du charbon), sur la production d'électricité (EDF), sur la production industrielle (bons d'équipement) ou sur le cours des actions (Emprunt 1956). Mieux, les emprunts EDF sont libellés en kilowattheures et ceux de la SNCF en kilomètres-voyageur. L'obligation SNCF 1954 offre un intérêt de 65 km et est remboursée 1 600 km en bons-voyage ou en espèces !

C'est même toute la société qui est bouleversée par l'inflation. Chacun s'efforce d'obtenir de l'Etat une hausse de ses prix ou de son salaire, ce qui justifie de nouveau l'appareil de contrôle et de subvention né sous Vichy. Il faudra attendre le 1er janvier 1987 pour rompre définitivement avec le contrôle des prix.

Les liquidations brutales de l'après-guerre, par l'annulation comme par l'hyperinflation, ont eu le mérite de libérer l'avenir. Mais la poursuite de la " politique du circuit ", avec son mélange de financement inflationniste et de contrôle administratif des prix, a créé une situation où l'inflation devenait à la fois solution et problème. Aujourd'hui, au lieu de laisser des défauts annuler certaines dettes, les banques centrales créent de nouveau de la monnaie sans richesse réelle en contrepartie. L'avertissement de l'économiste Jacques Rueff demeure : " Une monnaie efficace est la condition de la liberté humaine. Croyez-moi, aujourd'hui comme hier, le sort de l'homme se joue sur la monnaie. "

Patrice Baubeau et David Le Bris

Patrice Baubeau

est maître de conférences en histoire à Nanterre et

David Le Bris

enseignant-chercheur à Kedge Business School.

    Quatre dévaluations

    25 juin 1940 La France règle une indemnité d'occupation à l'Allemagne de 400 millions de francs par jour (puis 300 millions de francs en mai 1941 et 500 en novembre 1942), l'équivalent du budget de l'Etat.

    8 mai 1945 Capitulation de l'Allemagne.

    26 décembre 1945 Première des trois dévaluations du franc de la IVe République (puis 1948 et 1949).

    Mai 1946 Accords financiers franco-américains Blum-Byrnes qui octroient à la France un crédit de 1 370 millions de dollars.

    1947 Plan Marshall.

    22 novembre 1947 Grandes grèves face à la mauvaise situation économique.

    1952 et 1958 Emprunts Pinay.

    Décembre 1958 La France adopte un plan avec une dévaluation de 15 %.

Rédigé par Philippe NOVIANT

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