Une psychiatre dans le prétoire
Publié le 18 Mars 2013
Ce qui me frappe dans cette affaire, c'est que la psychiatre est la première à constater que son patient était une énigme. On lui a dit, à de multiples reprises, que son patient était dangereux. N'aurait-il pas été judicieux de respecter un principe de précaution élémentaire en ne le laissant pas sortir ?
Le pire, c'est l'épisode où elle laisse sortir son patient pendant 3 heures dans la nature alors qu'elle reconnaît elle même qu'il puisse être dangereux !
Dans la vie, on a le droit de se tromper, mais on a moins le droit de s'enfermer dans ses certitudes et mettre la vie de ses concitoyens en jeu dans ce contexte.
Un article du journal 'Le Monde' daté du 15 Novembre 2012
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A Marseille, une psychiatre sur le banc des prévenus
Le parquet a requis un an de prison avec sursis contre une médecin dont le patient avait perpétré un assassinat
Marseille Envoyée spéciale
Pousser la porte d'un univers qu'elle connaît mal et qui a une fâcheuse tendance à lui dénier le droit d'entrer est un défi auquel la justice est souvent confrontée. Mardi 13 novembre, à l'ouverture du procès de Danièle Canarelli, une psychiatre poursuivie pour homicide involontaire après un assassinat commis par l'un de ses patients atteint de schizophrénie, le président du tribunal correctionnel de Marseille, Fabrice Castoldi, a réservé ses premiers mots au public de professionnels venus manifester bruyamment leur soutien à leur collègue : " On peut comprendre l'émotion légitime d'une profession. Mais on ne juge pas ici la psychiatrie, ni les psychiatres. Il s'agit pour nous de savoir si, dans une situation concrète, une faute caractérisée a été commise. " Rappelant le " cadre juridique très particulier " de l'article 121-3 du code pénal issu de la loi Fauchon du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels susceptibles d'être reprochés aux décideurs publics, le président a ajouté : " Il ne peut exister d'impunité, la société ne l'accepte pas. "
C'est d'abord à l'opiniâtreté de l'un des fils de la victime que l'on doit ce procès. En janvier 2005, l'instruction ouverte sur l'assassinat de Germain Trabuc à coups de hachette par Joël Gaillard se conclut par un non-lieu, l'auteur des faits étant déclaré irresponsable pénalement en raison de ses troubles psychiatriques. Michel Trabuc engage alors une action devant la juridiction administrative contre l'Etat et contre l'hôpital - il obtiendra la condamnation de l'établissement pour défaut de surveillance - et dépose parallèlement une plainte avec constitution de partie civile contre toutes les personnes physiques ou morales qui ont pu faire preuve de négligence dans le suivi de Joël Gaillard.
Une nouvelle instruction est ouverte qui entraîne le renvoi devant le tribunal du docteur Canarelli, le juge considérant que, par ses manquements aux obligations particulières de prudence et de sécurité, celle-ci porte une responsabilité pénale indirecte dans l'assassinat de Germain Trabuc. Le magistrat s'appuie notamment sur l'expertise confiée à l'expert psychiatre Jean-Claude Archambault, qui constitue un terrible réquisitoire contre sa collègue Danièle Canarelli.
Le rappel à l'audience des nombreuses alertes sur le comportement de Joël Gaillard a en effet de quoi donner le frisson. Pendant les quatre années - de 2000 à 2004 - où il est suivi au centre Edouard-Toulouse, il alterne séjours à l'hôpital psychiatrique et en prison pour agressions à l'arme blanche, incendie volontaire et tentative d'assassinat - qui se conclut elle aussi sur un non-lieu pour abolition du discernement. A chaque fois, les psychiatres qui l'examinent dans le cadre des enquêtes concluent à une schizophrénie " avec dangerosité établie " et " escalade dans les passages à l'acte " et alertent sur les risques que font courir ses interruptions répétées de traitement.
Le docteur Canarelli se refuse pourtant à poser ce diagnostic. Elle lève régulièrement les mesures d'hospitalisation d'office et lui accorde des permissions de sortie. Au président qui lui demande pourquoi elle n'a pas suivi les recommandations de ses confrères sur la nécessité de soumettre Joël Gaillard à un cadre psychiatrique plus contraignant, elle répond : " On ne peut pas toujours être dans la coercition. " " Mais comment soigner un patient qui n'est pas consentant autrement que par la coercition ? ", intervient le président. " J'étais dans une relation de confiance avec lui. Il venait à tous les rendez-vous, ce qui est rare, et il n'y avait aucun incident de comportement pendant les hospitalisations. Le consentement du patient est essentiel si l'on veut engager une relation thérapeutique dans la durée. "
Fabrice Castoldi plonge dans le dossier, en extrait un bout du rapport du docteur Archambault : " Au fil des années, le docteur Canarelli n'a pas tenu compte des avis des différents psychiatres et experts qui avaient formulé un diagnostic particulièrement clair. Il y a eu en quelque sorte un enfermement dans le déni, le déni de Joël Gaillard - sur la profondeur de ses troubles psychiatriques - ayant entraîné un déni de l'équipe soignante. " Elle répond : " C'était un patient plus compliqué que les autres. J'étais confrontée à une énigme. J'étais convaincue qu'il présentait une pathologie psychotique mais j'étais embarrassée par l'absence de symptômes. " Le président lui demande alors, abruptement : " Mais pourquoi n'avez-vous pas passé la main ?
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- Ce n'est pas si facile que ça de passer un patient à une autre équipe. "
Pour Danièle Canarelli, la principale difficulté est à venir. En février 2004, de nouveaux clignotants s'allument. La soeur de Joël Gaillard prévient le médecin que son frère est très agressif et qu'il profère des menaces de mort. Au même moment, le patient ne se présente pas à un rendez-vous avec sa psychiatre car il s'est blessé à la main et doit subir une opération. Les conditions de la blessure - une coupure grave, à la suite d'une altercation à l'arme blanche - inquiètent le docteur Canarelli qui demande son transfert dans son service psychiatrique après l'opération. Lorsqu'il se présente quelques jours plus tard devant elle, elle lui annonce qu'elle va le réhospitaliser. L'entretien tourne court, Joël Gaillard se lève brutalement et quitte le pavillon où la médecin, qui est seule avec un infirmier, ne peut pas le retenir. " Nous n'avons pas tenté. Il était mal et aurait pu nous faire mal. Nous n'avons pas eu le temps de prévenir les renforts.
- Mais vous n'aviez pas imaginé l'hypothèse d'une fugue ?
- Non, il était calme. "
Elle attend trois heures pour signaler sa fuite à la police. " Mais ça veut dire qu'un patient part dans la cité alors que vous nous dites qu'il était mal et qu'il pouvait faire mal... ", observe le président. On sent que ses questions font monter l'indignation dans le public de professionnels massé au fond de la salle d'audience. " Il faudrait que les juges viennent faire un stage dans les hôpitaux psychiatriques ", murmure une femme à sa voisine. Trois semaines plus tard, Joël Gaillard se présente devant le domicile de sa grand-mère et frappe à mort la tête de son compagnon, Germain Trabuc.
" Cette affaire, c'est la chronique d'une mort annoncée, relève Me Gérard Chemla, avocat du fils de la victime. On ne peut pas se laisser enfermer dans un raisonnement absurde selon lequel la justice n'a aucune compétence pour juger les malades mentaux et qu'il faut les remettre à l'institution psychiatrique. Une poursuite comme celle-ci est saine. Il y a un moment où la défense sociale doit passer avant le patient ", conclut-il. Le procureur a requis un an de prison avec sursis contre Danièle Canarelli. Jugement le 18 décembre.
Pascale Robert-Diard
Des experts dénoncent l'" utopie du risque zéro "
L'Académie de médecine et le Conseil national des compagnies d'experts en justice ont souligné la difficulté pour ces derniers d'évaluer la " dangerosité criminologique " dans un rapport rendu lundi 12 novembre et dénoncent l'" utopie du risque zéro ". " Désormais, la mission de l'expert médical porte moins sur l'évaluation de la responsabilité que sur celle de la dangerosité : le médecin n'a plus à faire un diagnostic mais un pronostic ", regrettent-ils, ajoutant que l'expertise " ne saurait être une science de la prédiction ". Les rapporteurs seront auditionnés le 12 décembre par la " conférence de consensus sur la prévention de la récidive ", mise en place par la ministre de la justice.