Peut-on risquer la vie des patients pour des essais pharmaceutiques ?
Publié le 16 Juin 2015
Je me pose des questions quant à cet essai. Pour moi, on va trop loin dans ces essais en faisant une étude contre placebo. Si une personne se croit protégée par un médicament alors qu'elle prend un placebo, elle risque en effet de jouer avec sa vie, d'autant plus que le virus du sida n'est pas anodin et loin s'en faut !
Quand bien même la personne est avertie, qu'il me paraît discutable de jouer avec sa vie...
L'avertissement a-t-il été suffisant pour véritablement insister sur le fait que le médicament pris était un placebo ? L'étude contre placebo n'a-t-il pas atteint ses limites quand les risques encourus sont si importants ?
Un article du journal 'Le Monde' daté du 26 Février 2015
********************
VIH : succès d'un traitement préventif pris " à la demande "
L'essai Ipergay démontre l'efficacité de la prise du Truvada chez des hommes avant et après un rapport sexuel à risque
Ils étaient très attendus. Les résultats de l'essai clinique Ipergay ont été présentés, mardi 24 février, lors de la 22e conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI), à Seattle. Ils démontrent une très haute efficacité (86 %) d'une " prophylaxie pré-exposition " (PrEp) prise à la demande dans une population à risque élevé de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH).
" Il est important de ne pas relâcher les politiques de prévention qui ont fait leurs preuves : utilisation systématique du préservatif, dépistages réguliers du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles, et leur traitement ", met en garde Jean-Michel Molina (université Paris-VII, hôpital Saint-Louis, AP-HP), coordinateur de l'étude. Ces conclusions chez des hommes ayant des rapports homosexuels ne peuvent être extrapolées à d'autres populations.
Dûment informés sur les risques de contamination, recevant des préservatifs et du gel, les 400 hommes ayant des relations homosexuelles enrôlés à partir de 2012 dans l'essai Ipergay utilisaient de leur propre initiative un traitement préventif. Il pouvait s'agir de l'association d'antirétroviraux ténofovir et d'emtricitabine en un seul comprimé (commercialisée sous le nom Truvada par le laboratoire américain Gilead) ou bien d'un placebo, sans activité pharmacologique.
Le schéma consistait à prendre deux comprimés entre vingt-quatre et deux heures avant des rapports, puis un comprimé immédiatement après le dernier rapport et un quatrième comprimé quarante-huit heures plus tard.
Les participants – âge moyen, 35 ans – avaient en moyenne dix rapports homosexuels par mois, dans 70 % des cas sans préservatif, et huit partenaires différents en deux mois. A l'issue d'un suivi moyen de treize mois, seize cas d'infection par le VIH ont été détectés : quatorze chez les participants sous placebo (soit une incidence de près de 7 %) et deux chez des hommes du groupe Truvada, mais ayant cessé d'en prendre depuis plusieurs semaines. Le traitement par Truvada a été " globalement bien toléré ". Au vu des résultats probants, depuis octobre 2014, le suivi se poursuit dans une seconde phase. Cette fois tous les participants reçoivent le Truvada.
Réduction des risques
Les antirétroviraux comme moyen de prévention de la transmission du VIH (et non pour traiter cette infection) ont d'abord été utilisés avec succès chez la femme séropositive afin d'éviter la contamination de l'enfant. Publiés en 2013, les résultats de l'étude Iprex, avec prise de Truvada en continu ou d'un placebo chez des hommes ayant des rapports homosexuels non protégés, faisaient état d'une réduction de 44 % du risque d'infection. Un autre essai de PrEp, intitulé Voice, chez 5 000 femmes en Afrique australe, dont certaines prenaient en continu du Truvada, n'a pas montré d'effet protecteur. La principale cause avancée est le mauvais respect du traitement.
L'approche d'un traitement prophylactique en continu avec Truvada dans la vie réelle et non plus dans les conditions " idéales " d'un essai clinique a montré ses limites. Aux Etats-Unis, où elle est autorisée depuis 2012, cette méthode a été peu adoptée : un pour mille des 3,3 millions d'ordonnances prescrivant le Truvada était à visée préventive, selon Bloomberg Business.
Promu et principalement financé par l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l'essai Ipergay testait une approche différente, celle d'une " offre de santé sexuelle globale incluant la PrEp ", comme la résume Bruno Spire, président de Aides – association impliquée tout au long de l'essai – et co-investigateur d'Ipergay.
" La PrEp marche bien si elle est régulièrement observée. Le traitement à la demande change beaucoup de choses pour les personnes concernées. Au cours de l'essai Ipergay, les participants choisissaient eux-mêmes d'utiliser ou non le Truvada en fonction du risque qu'ils estimaient prendre. Cela rend les gens plus responsables. Mais cela était combiné à des tests de dépistages réguliers. C'est ce qui a permis d'atteindre un niveau de protection que nous n'aurons peut-être jamais avec un vaccin anti-VIH ", estime le Pr Molina.
" Il faut distinguer les résultats de la recherche et ce qui sera mis en place en France et qui relève d'une décision politique, commente le Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS. Des discussions sont en cours au niveau des autorités et devraient avancer très vite, probablement à l'été ou à la rentrée 2015. "
Reste que l'essai a mis en évidence la fréquence des autres infections sexuellement transmissibles, comme la gonorrhée, la syphilis, l'hépatite C ou l'infection par les chlamydiae : un tiers des participants en ont contracté une au cours de l'essai.
Paul Benkimoun