La séparation des pouvoirs à la mode Russe

Publié le 11 Mai 2015

russie-moscou-cathedrale-basileLa séparation des pouvoirs existe... mais pas en Russie... Le pouvoir judiciaire est intriqué avec l'exécutif et personne n'y trouve rien à redire.

Encore un bel exemple qui démontre que la notion de Démocratie est une notion toute relative dans ce pays.

Pire, la Russie exerce directement son pouvoir judiciaire en Ukraine !

Un article du journal 'Le Monde' daté du 6 Février 2015

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A Moscou, le bras armé de Poutine
Le Comité d'enquête créé pour traiter les affaires judiciaires politiquement sensibles joue un rôle central au service de son créateur, le président russe. Une de ses missions est de s'intéresser de très près aux " crimes de guerre " commis en Ukraine

Jour après jour, le Comité d'enquête de la Fédération de Russie se penche sur les " crimes de guerre " commis dans l'est de l'Ukraine. Le 30  janvier, des tirs sur un trolleybus de Donetsk, et le centre culturel de cette " république populaire autoproclamée " tenue par les séparatistes prorusses ont motivé l'ouverture d'investigations pour " meurtres, utilisation de moyens et de méthodes de guerre prohibés ". Le 22  janvier, une enquête du même type était ouverte concernant des tirs sur un autre bus, à Donetsk toujours (13 morts), et " d'autres ", dans le Donbass. A distance, Moscou déplace le conflit sur le terrain judiciaire.

Le Comité d'enquête n'est pas n'importe quel organisme en Russie. Créé en  2007, détaché du parquet par un décret de Vladimir Poutine en  2011, il n'est aujourd'hui sous l'autorité de personne d'autre que le président lui-même. Sa direction a été confiée à un proche, le général-colonel de justice Alexandre Bastrykine, 61 ans, issu de l'université de droit de Léningrad où il fit la connaissance du chef de l'Etat. " L'idée d'un premier organisme indépendant d'enquête remonte à Pierre le Grand, qui l'avait placé sous l'autorité de l'empereur – mais Pierre le Grand et Poutine ont la même stature, non ? ", s'esclaffe dans son bureau le général Vladimir Markine, porte-parole de l'institution. Le Comité d'enquête, avec ses 21 000 employés dont 8 000 enquêteurs, n'a aucun contre-pouvoir. Il est le bras armé du Kremlin.

Chargé notamment des grandes affaires de corruption, il a vu ses pouvoirs s'étendre. Tout, désormais, passe entre ses mains : " Les crimes les plus graves, l'ordre public, la sécurité de l'Etat, les crimes de guerre, les actes de terrorisme, le banditisme, la corruption, ainsi que les crimes commis par des forces de sécurité ", énumère M. Markine, qui précise : " L'enquêteur se saisit lui-même. " Seules contraintes qui n'en sont pas vraiment : " Le procureur a le droit, sous vingt-quatre  heures, d'annuler une enquête ouverte s'il considère qu'elle n'est pas fondée. Au stade final de l'enquête, il doit ensuite signer l'acte d'accusation. "

Dans l'immeuble moderne de quinze étages de la rue Baoumanskaïa, ont ainsi été instruits tous les sujets sensibles : l'affaire de l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, gracié par Vladimir Poutine après dix ans de camp ; l'affaire des Pussy Riot (un collectif de féministes russes condamnées pour une prière " punk " dans une église, puis libérées après deux ans de prison) ; Greenpeace (trente militants finalement amnistiés après une action contre une plate-forme pétrolière de Gazprom), et bien d'autres encore… Le dossier de l'opposant Alexeï Navalny, poursuivi pour des malversations financières, est toujours en cours. Tout comme celui d'Ahtem Chiygoz, l'un des chefs de file des Tatars de Crimée, contre lequel des investigations viennent d'être ouvertes " pour organisation de troubles massifs " lors d'une manifestation en février  2014, opposée à l'annexion de la péninsule par la Russie.
Accusés ukrainiens

" Nous, on ne tire pas avec un pistolet ", assure M. Markine. Nul besoin. " L'enquêteur ne court pas après les criminels, son statut correspond à celui du juge d'instruction en France. Il rassemble les preuves et donne les ordres d'interpellation aux agents du FSB - service fédéral de sécurité - ou du MVD - ministère de l'intérieur - , qui nous fournissent aussi les écoutes téléphoniques ", indique le porte-parole. Autrement dit, le bureau de Baoumanskaïa est plus puissant que le FSB, descendant du KGB… Ses enquêteurs, qui disposent de voitures noires avec une bande rouge bien reconnaissable, ne sont pas des policiers mais des fonctionnaires avec une formation de juriste. Pour entrer dans le saint du saint de la machine judiciaire russe, il faut subir soi-même une enquête, " y compris le détecteur de mensonges " et être recommandé par l'un de ses pairs. Les enquêteurs se cooptent entre eux.

Pour certains, comme M. Markine, un ancien journaliste, le grade de général va de pair avec la fonction, pas avec une formation. Mais bientôt, une académie maison devrait voir le jour… Ce fonctionnement en circuit fermé provoque parfois quelques grincements de dents au sein même du parquet, mais qui oserait s'opposer au Comité d'enquête ? Ses investigations ne laissent guère de chance : une fois le dossier bouclé, seuls 0,4  % d'acquittements sont prononcés devant les tribunaux. Rien de plus normal, vous explique-t-on puisque, si les poursuites arrivent à terme, c'est que l'enquêteur " a bien fait son travail ". " Nous n'envoyons au tribunal que les dossiers où la culpabilité des accusés est prouvée, contrairement aux Etats-Unis, par exemple, où l'instruction n'existe pratiquement pas ", avance M. Markine.

Aujourd'hui, un département entier s'occupe de l'Ukraine. Officiellement, la Russie n'est pas impliquée dans le conflit qui ravage une partie du territoire de son voisin, mais soixante-cinq citoyens ukrainiens " soupçonnés de crimes " sont sous le coup d'une enquête déclenchée à 850 kilomètres de distance de Kiev, parmi lesquels figurent le patron du SBU (services secrets ukrainiens) et l'actuel ministre de l'intérieur Arsen Avakov. " S'ils pensent qu'en restant en Ukraine, ils pourront échapper à leurs responsabilités, ils se trompent… ", ironise M.  Markine.

Plusieurs ressortissants ukrainiens sont déjà en détention sur le territoire russe, enlevés contre leur gré selon eux. C'est le cas de la pilote militaire Nadejda Savtchenko, 33 ans, soupçonnée d'avoir indiqué l'emplacement de deux journalistes russes fauchés par des tirs de mortier à Louhansk en juin  2014, mais aussi du cinéaste Oleg Sentsov, 38 ans. Actif pendant le soulèvement de Maïdan à Kiev, il est accusé d'avoir préparé des " actes terroristes " contre des infrastructures sur le territoire de Crimée où il est né et réside.

Le Comité d'enquête met en avant l'article  12 du code pénal russe qui lui permet, dit-il, de mener des investigations sur des personnes étrangères. Une disposition qui lui a déjà permis d'ouvrir une enquête contre l'ex-président de Géorgie, Mikheïl Saakachvili – ce " mangeur de cravates ", comme le qualifiait M.  Markine dans l'hebdomadaire russe Sobesednik le 20  janvier – aujourd'hui réfugié aux Etats-Unis après la guerre d'Ossétie du Sud, un territoire reconnu par Moscou comme Etat indépendant.
" Comme à Nuremberg "

Rien de comparable cependant avec l'Ukraine, pays pour lequel le Comité d'enquête de la Fédération de Russie déploie une activité redoublée. Depuis le crash du Bœing malaisien MH17 abattu en juillet  2014 par un tir au-dessus de l'Ukraine imputé aux séparatistes prorusses du Donbass, Moscou fourbit ses armes, pour le cas où un tribunal international se pencherait un jour sur un conflit qui a fait déjà fait plus de 5 000 morts. " Si Iatseniouk - le premier ministre ukrainien - est capable de raconter au monde entier que l'URSS, dont faisait partie l'Ukraine, a envahi l'Allemagne et l'Ukraine au cours de la seconde guerre mondiale, comment peut-on prendre au sérieux ses paroles et celles de ses collègues sur les coupables du crash du Bœing malaisien ? ", s'énerve M. Markine. " Je suis convaincu que ce régime, qui donne les ordres pour tuer des civils, n'a plus beaucoup de temps devant lui, poursuit-il. Nous rassemblons les preuves petit à petit et je vous assure que, tôt ou tard, il y aura un procès comme à Nuremberg. " Les preuves ? " Oui, nous en avons beaucoup, et concrètes. Sur les bombes à phosphore utilisées par l'armée ukrainienne, par exemple, nous avons reçu des échantillons de terre. " Le porte-parole ne précise pas comment.

Isabelle Mandraud

Rédigé par Philippe NOVIANT

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